Déposé en février dernier auprès du Conseil constitutionnel par 110 députés, rejoints par 43 sénateurs, le recours fondé sur l’article 54 de la Constitution posait aux Sages la question de savoir si cet accord international entre l’Union européenne et le Canada comportait une clause contraire à la Constitution. Une décision d’autant plus attendue qu’elle est la première à avoir pour objet un accord de commerce et d’investissement dit de « nouvelle génération » comme l’est aussi le Tafta, le Tisa ou encore le Japta.
Sauf qu’attendue ne voulait pas dire entendue. Car c’est sans réserve, mais avec beaucoup de surprise pour certains, que le Conseil constitutionnel a validé le Ceta dans une décision du 31 juillet. « Une décision incompréhensible » pour la Fondation Nicolas Hulot, l’Institut Veblen et Foodwatch qui fustigent son caractère « très superficiel » et qui « fait primer l’objectif de promotion des investissements et des échanges commerciaux sur le principe d’égalité devant la loi et les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ». Pour autant, la décision du Conseil constitutionnel a reçu seize contributions extérieures et procédé à dix auditions, et compte 75 paragraphes. Un record.
Confirmation de la nature mixte de l’accord
Dans leur décision historique, les Sages ont tout d’abord confirmé le caractère mixte de l’accord commercial liant le Canada et l’Union européenne. En effet, on peut lire dans la décision du Conseil constitutionnel, que si « l’essentiel des matières que couvre l’accord relève d’une compétence exclusive de l’Union européenne », d’autres compétences sont partagées avec les États membres.
Ainsi dans le droit fil de la jurisprudence « Singapour » de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière, le Conseil constitutionnel a, concernant les domaines sur lesquelles l’Union jouit d’une compétence exclusive, limité l’étendue de son contrôle à la vérification qu’aucune règle ou principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ne soit remis en cause. Et, en ce qui concerne les matières relevant d’une compétence partagée entre l’Union européenne et ses États membres, le Conseil constitutionnel a vérifié si les stipulations de l’accord ne comportent pas de clause contraire à la Constitution.
Mais au-delà de la différence de contrôle qu’induit le caractère mixte de cet accord, c’est une mise en vigueur différée qui en découle. Ainsi, l’essentiel des dispositions – celles concernant les domaines où l’Union européenne jouit d’une compétence exclusive – entrera en vigueur provisoirement le 21 septembre en attendant sa ratification par les parlements des Etats membres. Suppression des droits de douane, ouverture des services, circulation des travailleurs, accès aux marchés publics, renforcement de la coopération réglementaire, reconnaissance des qualifications professionnelles… sont autant de dispositions concernées par cette application provisoire.
Sur ce point, les Sages rassurent les requérants en rappelant que l’accord n’est pas « irrévocable » et qu’il prévoit « la possibilité d’interrompre cette application provisoire en cas d’impossibilité pour une partie de le ratifier ». Une non-ratification appelée des vœux notamment de la Fondation Nicolas Hulot, de l’Institut Veblen et de Foodwatch qui ont réitéré leur demande à la France « de refuser l’entrée en application provisoire du Ceta, tant que des doutes juridiques persistent et que les parlementaires français n’ont pas été consultés ».
Compatibilité du tribunal arbitral privé avec les principes d’égalité et de souveraineté
Le tribunal arbitral privé institué par l’accord pour régler les différends entre les investisseurs et les États n’est pas jugé contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel rappelle dans sa décision du 31 juillet que le tribunal « ne peut ni interpréter ni annuler les décisions prises par les Etats », que ses pouvoirs sont « limités au versement de dommages pécuniaires et à la restitution de biens », et que suffisamment de règles d’éthique encadrent son fonctionnement. Dans ces conditions, il considère que le « principe d’égalité » n’est pas enfreint, et que l’accord « ne méconnaît pas les conditions d’exercice de la souveraineté nationale ».
Sauf que ce système d’arbitrage est un des points majeurs de crispation. Pour ces détracteurs, ce système arbitral ferait courir un risque contentieux aux collectivités adjudicatrices soucieuses d’insérer une clause de préférence locale dans leurs cahiers des charges, afin de favoriser une entreprise régionale ou, au minimum, française. En effet, une entreprise canadienne exclue dudit marché public pourrait par ce système arbitral privé demander une indemnisation à la collectivité adjudicatrice.
Idem par exemple pour un syndicat mixte créé par une collectivité afin d’accompagner l’aménagement numérique de la région qui pourrait représenter une entrave à la concurrence et être interdit par ce futur tribunal arbitral privé.
Une boîte de Pandore que les opposants au Ceta craignent de voir s’ouvrir plus vite que prévu.
Respect du principe de précaution par… contumace
Interrogé également sur le respect par l’accord Ceta du principe de précaution, le Conseil constitutionnel a réaffirmé sa valeur constitutionnelle et a validé son absence comme un signe de sa garantie. Ainsi, les Sages ont jugé que « l’absence de mention expresse du principe de précaution dans les stipulations de l’accord qui relèvent d’une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres n’emporte pas de méconnaissance de ce principe ».
Références