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Accord UE - Mercosur : un projet de déclaration interprétative qui ne règle rien

Mathilde Dupré & Stéphanie Kpenou, 23 mars 2023

Une version datée de février du document additionnel à l’accord UE-Mercosur préparé par la Commission européenne dans le plus grand secret a été divulguée hier par l’ONG Friends of the Earth Europe (1). Ce projet de “déclaration conjointe”, censée apporter un certain nombre de garanties pour dépasser les fortes réserves exprimées par de nombreux Etats membres de l’UE depuis 2019, ne règle aucune des menaces environnementales, climatiques et sanitaires qui se concrétiseront si l’accord venait à être ratifié (2).

Dans le projet de déclaration, les parties se contenteraient d’affirmer leur engagement à mettre en œuvre les dispositions anachroniques du chapitre TSD de l’Accord UE-Mercosur, non contraignantes et donc de portée plus que limitée. Cette approche reste très en deçà de la nouvelle stratégie annoncée le 22 juin 2022 (3), dans laquelle l’UE affichait sa volonté d’aligner sa politique commerciale avec le développement durable, en imposant notamment des sanctions commerciales en cas de violation des engagements pris au titre de l’Accord de Paris. Encore une fois, le décalage est grand entre les engagements théoriques de l’UE et le contenu réel qu’elle pousse dans ses accords commerciaux.

Dans un contexte de critiques récurrentes à l’Organisation Mondiale du Commerce sur les réglementations européennes issues du Green Deal (4), la déclaration ne contient pas non plus d’engagement des États du Mercosur de ne pas attaquer devant l’OMC, les récentes mesures européennes visant à limiter les effets négatifs sur l’environnement et le climat des processus de production des biens importés, en particulier le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le règlement sur la déforestation importée, et la récente mesure miroir environnementale interdisant les importations de produits contenant des résidus de deux néonicotinoïdes interdits dans l’UE.

Concernant la déforestation, une publication récente de FERN (5) pointe que le document additionnel propose un objectif erroné consistant à réduire la déforestation d’au moins 50% par rapport aux niveaux actuels d’ici à 2025. Selon Rainforest Foundation Norway, cet objectif serait contraire à la loi brésilienne, plus stricte, sur la réduction de la déforestation. Selon l’ONG, l’objectif intermédiaire proposé par la Commission permettrait en fait un augmentation de 47% de l’objectif de déforestation fixé par le Brésil pour 2020.

En matière de pesticides, la déclaration ne contient pas d’engagement de la part de l’UE de faire cesser ses exportations de pesticides interdits dans l’UE pour leur dangerosité sur la santé ou l’environnement.

Enfin, on ne trouve aucune mesure conditionnant les préférences tarifaires au respect de normes de durabilité sur les biens les plus sensibles environnementalement. L’enjeu n’est même pas abordé, alors que l’accord facilitera l’entrée de denrées produites selon des pratiques interdites dans l’UE. Les demandes françaises d’introduire des clauses miroirs contraignantes dans la conditionnalité tarifaire de l’accord sont donc restées lettre morte, en dépit du soutien exprimé par les Pays-Bas en avril 2020 et encore par l’Autriche lors du Conseil Agriculture et Pêche du 20 mars dernier.

Les trois lignes rouges tracées par la France, en matière climatique, de déforestation et de normes sanitaires et environnementales pour les produits agricoles importés, demeurent donc d’actualité.

Alors que les dirigeants européens devraient aborder la question délicate de la "méthodologie" de ratification de l’accord lors de leur sommet des 23 et 24 mars, Paris doit réaffirmer avec vigueur son opposition à l’Accord et à tout mettre en œuvre pour garder son droit de véto et bloquer la ratification de ce projet d’Accord.

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Notes

(1) L’état d’avancement des discussions sur ce document reste incertain à ce jour. Le projet de déclaration aurait été présenté par les négociateurs européens aux pays du Mercosur mi mars. Mais d’autres sources rapportent que les pays du Mercosur pourraient présenter leur propre document les 19 et 20 avril prochains.

(2) UE-Mercosur : les dangers d’une ratification de l’accord de commerce en l’état, contribution de l’Institut Veblen, FNH et Interbev, Mars 2023

(3) Voir notamment la communication présentée par l’Australie, le Brésil, le Canada, la Colombie, le Costa Rica, la République Dominicaine, l’Équateur, le Guatemala, le Honduras, la Malaisie, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, les Etats Unis et l’Uruguay, contre l’Union Européenne concernant la “mise en œuvre de barrières non tarifaires sur les produits agricoles”, du 4 juillet 2019. Puis celle de l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Colombie, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, l’Equateur, les Etats-Unis, le Guatemala, le Honduras, la Jamaïque, la Malaisie, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la République Dominicaine et l’Uruguay, sur la mise en œuvre par l’UE “d’obstacles non tarifaires visant les produits agricoles”, le 1er novembre 2019.

(4) Voir la communication intitulée « La force des partenariats commerciaux : ensemble pour une croissance économique verte et juste », dans laquelle la Commission expose comment elle compte renforcer la mise en œuvre et l’application des chapitres relatifs au commerce et au développement durable des accords commerciaux de l’Union européenne.

(5) FERN, Still got it ! As discussions aimed at ratification begin, Mercosur deal retains it capacity to dismay, 13 April 2023

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