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Commerce international et environnement : les contradictions de la France et du Canada

Thomas Dauphin, 8 juin 2018

Alors que le G7 se tient en ce moment au Québec, le président américain ne doit pas servir de prétexte à la France et au Canada pour tourner le dos à leurs engagements sur le climat et l’environnement.

A l’issue de leur entretien en vue de préparer le G7 de Charlevoix au Québec, Justin Trudeau et Emmanuel Macron ont fait part de leur volonté d’œuvrer ensemble pour apporter des réponses aux "enjeux cruciaux pour l’avenir de la planète et de l’ordre international".(1)
La décision unilatérale des États-Unis d’augmenter les tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium sera la principale pomme de discorde de ce sommet annoncé comme un G6 + 1. Mais la question climatique pourrait aussi être un point d’achoppement, la France n’étant visiblement pas disposée à signer une déclaration commune (2) ne mentionnant pas l’Accord de Paris dont les États-Unis se sont retirés il y a tout juste un an.

Au-delà du cadre international, les deux chefs d’État multiplient de part et d’autre de l’Atlantique les déclarations affirmant leur ambition en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de l’environnement.

Pourtant, ni leurs actions respectives au niveau national, ni leur soutien peu exigeant sur ces sujets à l’accord de commerce UE-Canada (CETA) ne vont dans ce sens. S’il est indéniable que les décisions de Donald Trump représentent une nouvelle donne préoccupante pour le multilatéralisme, les politiques commerciale et environnementale ne peuvent être analysées uniquement à l’aune des frasques du président américain : les contradictions de la France, du Canada et de l’UE suffisent à compromettre sérieusement les chances de relever le plus grand défi du 21e siècle.

Devant les représentants des pays membres de l’OCDE, et en réponse à la décision de Donald Trump, Emmanuel Macron a plaidé le 31 mai pour un renforcement du multilatéralisme et une réforme de l’OMC visant à adapter le commerce mondial aux défis contemporains, y compris le respect des droits sociaux et la protection du climat. Estimant qu’ "il nous faut mettre au cœur des disciplines commerciales la préoccupation environnementale" (3), le Président français a également appelé la Commission Européenne à inclure dans les accords de commerce une clause concernant le respect de l’Accord de Paris, assortie de sanctions pour les États ne respectant pas leurs obligations de réduction des émissions de gaz à effets de serre ou de financement de l’adaptation au changement climatique.

L’absence de cette clause dans le CETA (rentré en application provisoire et partielle le 21 septembre 2017) n’a pas empêché le Président français de réitérer son soutien à l’accord ce jeudi 7 juin lors de sa conférence de presse commune avec Justin Trudeau.(4) Elle n’est pas davantage présente dans les accords qui ont été conclus ensuite, tel que le JEFTA (Accord UE-Japon, dont la signature officielle est prévue le 12 juillet), ni dans les accords en préparation (UE-Mercosur, UE-Mexique) ou dans ceux dont les mandats de négociation viennent tout juste d’être confiés à la Commission européenne (UE-Australie, UE-Nouvelle-Zélande). Que d’occasions manquées pour concilier politique commerciale et défi climatique, alors que les prévisions sont de plus en plus pessimistes quant à la possibilité d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

De plus, lier les accords bilatéraux de commerce à l’Accord de Paris est nécessaire mais loin d’être suffisant pour assujettir effectivement la politique commerciale à l’impératif écologique. Les accords de commerce et/ou d’investissement comportent une multitude de clauses climaticides et empêchant la transition vers un modèle de société soutenable.
Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), même dans sa version révisée par la Commission européenne (dans le CETA ou dans le projet de Cour multilatérale sur l’investissement), risque fort d’agir comme une épée de Damoclès pour les États et les collectivités territoriales qui voudront instaurer des politiques publiques favorables à la transition. Alors que l’urgence de mesures ambitieuses n’a jamais été aussi forte, la crainte de devoir verser de lourdes indemnités à un investisseur privé a de fortes chances de dissuader les décideurs et de contribuer à une certaine "frilosité" en matière réglementaire. Dans ce domaine, faute d’abandonner ce dispositif, on ne peut que regretter que la proposition de veto climatique formulée par les experts de la Commission Schubert n’ait pas été reprise à son compte par le Gouvernement de manière effective.

La coopération réglementaire, au lieu de chercher une convergence par le haut faisant primer la protection de l’environnement et les droits humains et sociaux, semble plutôt destinée à un nivellement par le bas tant elle a été conçue pour ne pas créer ou maintenir d’obstacles aux échanges de capitaux, de biens et de services. Le problème se situe à deux niveaux : d’une part, la réglementation existante est susceptible d’être remise en question au nom de l’harmonisation ; d’autre part, les nouveaux projets européens de réglementation devront être soumis à l’avance aux autorités canadiennes (et réciproquement) pour les évaluer à la lumière de leur impact sur les échanges commerciaux. Avec de tels critères, il y a lieu de s’inquiéter sur le nombre de réglementations favorables à la transition écologique qui pourront effectivement voir le jour, puisque le Canada pourra en dernier ressort aussi utiliser la procédure de règlement des différends entre États pour obtenir gain de cause. Cette interrogation a d’ailleurs été soulevée par la commission d’experts indépendants dans le rapport d’évaluation du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, remis au Premier ministre le 8 septembre 2017.

Un domaine en particulier illustre les paradoxes de la France et de l’Union Européenne. Il s’agit de l’agriculture et de l’alimentation. Que ce soit sur la question des substances actives contenues dans les pesticides, herbicides ou fongicides, ou sur celles des farines animales et activateurs de croissance, l’UE s’est dotée jusqu’à présent un corpus de normes beaucoup plus ambitieuses que le Canada et que l’ensemble des pays tiers avec lesquelles elle négocie des accords de commerce. Dans le cadre du CETA, les normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) font l’objet d’un comité sectoriel qui a tenu sa première réunion en mars dernier. Une réunion au cours de laquelle le Canada a souhaité par exemple alerter à nouveau l’UE sur les impacts négatifs sur le commerce d’une éventuelle interdiction du glyphosate de la part de certains pays membres. Une telle pression est d’autant plus préoccupante que le principe de précaution, inscrit dans le droit européen, n’est pas garanti dans le CETA.

Les accords de commerce comme le CETA démultiplient la probabilité que des produits de moins bonne qualité et en deçà des normes sanitaires européennes actuelles pénètrent le marché européen pour deux raisons :
D’abord, parce qu’il est à craindre qu’à long terme les normes européennes antérieures aux traités ne résistent pas à la coopération réglementaire, puis, à plus court terme, parce que l’abaissement des droits de douane de facto un meilleur accès pour des produits de moins bonne qualité au marché européen. C’est ce que redoute le secteur agricole et en particulier de l’élevage qui se trouvera exposé à une concurrence accrue de produits ne répondant pas aux standards européens par exemple en matière d’alimentation animale (farines animales, antibiotiques commes activateurs de croissance) ou de bien-être animal

Dans le même temps, le projet de loi Agriculture et Alimentation porté par le gouvernement français se voulait une justement une réponse à la situation difficile des agriculteurs dont la plupart ne parvient pas à être justement rémunérée pour son travail en raison d’une pression sur les prix exercée par les intermédiaires et les grands distributeurs.
Son second volet avait aussi pour objectif de "renforcer la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits pour une alimentation saine, de qualité et durable"(5)
Alors que les syndicats d’agriculteurs, les ONG et même une partie de la majorité ont regretté le manque d’ambition du texte adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale, les maigres avancées qui seront peut-être obtenues dans cette loi pourraient se révéler bien fragiles face à aux effets cumulés des accords de commerce que la France, via l’UE, consent à signer. Notons à ce sujet que les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) et l’Australie et la Nouvelle-Zelande sont de grands exportateurs de produits issus de l’élevage industriel.

Outre-Atlantique, le Premier ministre canadien ne fait pas preuve d’une plus grande cohérence. En dépit de ses engagements répétés sur le climat, sa décision de nationaliser l’oléoduc Trans Moutain jette une ombre au tableau. Acquis pour une valeur de 4,5 milliards de dollars canadiens (environ 2,9 milliards d’euros) à une société texane, ce pipeline permet d’acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta à la Colombie-Britannique, et donc vers le Pacifique et les marchés asiatiques. Or la production d’hydrocarbures non-conventionnels porte une lourde responsabilité dans les émissions de gaz à effets de serre du Canada (6) ainsi que dans la destruction de l’environnement. Encourager ces industries ne devrait plus être à l’ordre du jour.

Au vu de ces évolutions, il est clair que ni le Canada, qui détient actuellement la présidence du G7, ni la France, qui l’assurera l’année prochaine, ne sont pour l’instant à la hauteur du rôle qu’ils se sont vu confier et de leurs propres annonces. Il est encore possible de rectifier le tir, mais cela passera obligatoirement par une réforme en profondeur du commerce international afin de le réencastrer dans les limites de notre planète et de la société.

(1) "Macron et Trudeau disent leur soutien à "un multilatéralisme fort" avant le G7, AFP, 7 juin 2018
https://www.afp.com/fr/infos/334/ma...

(2) "Macron et Trudeau envisagent des scénarios alternatifs pour la survie du G7", Le Temps, 7 juin 2018
https://www.letemps.ch/economie/mac...

(3) "Discours du Président de la République en ouverture de la session ministérielle de l’OCDE présidée par la France.", Elysee.fr, 31 mai 2018.
http://www.elysee.fr/declarations/a...

(4) Bien que déjà en application provisoire pour la majeure partie, le CETA doit encore faire l’objet d’une ratification par les Parlements de plusieurs Etats membres de l’UE, dont la France.

(5) "#EGalim : l’Assemblée Nationale vote le projet de loi Agriculture et Alimentation", agriculture.gouv.fr, 20 mai 2018
http://agriculture.gouv.fr/egalim-l...

(6) "Le Canada délaisse la lutte contre le réchauffement climatique", Le Temps, 6 juin 2018
https://www.letemps.ch/economie/can...

crédit photo : compte Twitter d’Emmanuel Macron

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