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Enseignement supérieur d’économie : un peu de pluralisme svp !

Par Philippe Frémeaux

13 juin 2014

L’enseignement supérieur des Sciences économiques fait l’objet de critiques récurrentes depuis deux décennies. Mais sans refonte des modes de recrutement et d’évaluation des enseignants-chercheurs, il ne sera pas possible de faire bouger les lignes.

On aurait pu espérer que la crise des subprime conduise les économistes à se remettre en cause. A en croire l’appel international d’étudiants pour le pluralisme en économie lancé mi-mai, un appel relayé désormais par plus de 65 collectifs d’étudiants dans 30 pays, c’est loin d’être le cas.
En France, collectif Peps-économie – Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur, qui relaye cet appel dénonce depuis maintenant plusieurs années un enseignement supérieur d’économie donne une place ultra-dominante aux approches techniques associées à une vision qui porte une grande confiance aux mécanismes du marché, à la rationalité des acteurs. En revanche, les enseignements qui permettraient de prendre du recul, d’acquérir un peu de sens critique, sont réduits à la portion congrue.
Les conséquences de cette orientation sont désormais bien documentées.
Si ce type de formation apporte aux étudiants des compétences utiles et notamment une aptitude à modéliser les situations, elle limite leurs capacités à se situer dans l’espace, dans le temps, et à comprendre les enjeux du débat économique et social. Cela pose un problème sur le plan démocratique, dans un monde où l’économie a pris une telle importance, mais c’est aussi un obstacle à leur bonne insertion sur le marché du travail : les diplômés en économie ont souvent tout à apprendre face à des situations professionnelles concrètes, faute de connaissance des faits, des institutions, de l’histoire…

En fait, ces critiques ne sont pas nouvelles. Déjà Jean-Paul Fitoussi, dans un rapport rendu au début des années 2000, s’était fait l’écho des critiques faites par les étudiants… Et pourtant, rien n’a changé depuis. Il faut donc se demander pourquoi ! Et la raison première, c’est que la majorité des universitaires, par conviction ou par confort, privilégie cet enseignement très formel de la discipline, quasi hors-sol, qui peut être répété d’année en année… Comment faire donc pour que ça change ?

A dire vrai, on peut douter que ceux qui sont à l’origine des enseignements actuels et qui les défendent becs et ongles soient très sensibles aux critiques qui leur sont adressées. Les personnes ayant peu de chance de changer, la solution passe donc par le changement des personnes. Plus précisément, il s’agit de créer les conditions d’une plus grande diversité du corps professoral, comme le réclament les enseignants-chercheurs rassemblés au sein de l’Association française d’économie politique, l’AFEP, qui compte tout de même 600 membres dont une majorité d’économistes, sur un total de 1500 enseignants-chercheurs en économie.

Que propose l’AFEP ? De créer les conditions institutionnelles d’un plus grand pluralisme au sein du monde universitaire en introduisant, en quelque sorte, une nouvelle discipline « Economie et société », qui viendrait concurrencer des « Sciences économiques » aujourd’hui verrouillées par les économistes dits orthodoxes. En effet, le mode de recrutement actuel des enseignants d’économie engendre une situation de type winner takes all, c’est-à-dire où la cooptation engendre un monopole de fait au profit des seuls défenseurs d’une certaine vision de l’économie. Redonner à la discipline un peu de diversité serait bénéfique à la qualité de la science mais aussi, et c’est essentiel, à la qualité du débat démocratique.

Y-a-t-il une chance pour qu’un tel miracle se produise ? Disons que tout cela est en débat. Le rapport demandé sur le sujet par Geneviève Fioraso, la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et la recherche, à Pierre-Cyrille Hautcoeur, le président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a été rendu le 5 juin.
S’il reprend une partie des critiques formulées dans le passé, il refuse à trancher dans le vif sur le plan du recrutement des enseignants-chercheurs. Aussi, la balle est désormais dans le camp de Benoit Hamon, le ministre de l’Education nationale. Benoît Hamon s’était prononcé voici quelques mois en faveur des réformes défendues par l’AFEP, alors qu’il était encore ministre de l’Economie sociale et solidaire…
Benoît Hamon, en bon breton, est plutôt du genre têtu et on peut espérer que son changement de portefeuille ne l’a pas conduit à changer d’avis !

RAPPORT DE L’IDIES 2014 : "Sortir de la crise de l’enseignement supérieur d’économie"

Pour en savoir plus, lire le rapport 2014 de l’Idies sur le sujet, disponible sur www.idies.org.

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