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L’emploi en transition

par Philippe Frémeaux

Philippe Frémeaux, 28 janvier 2015

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La transition vers une économie réellement soutenable apparaît aujourd’hui comme une nécessité absolue. Il faut non seulement réduire très fortement les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter l’ampleur du changement climatique, mais aussi réduire la ponction sur les ressources non renouvelables de la planète et stopper net la dégradation des écosystèmes qui sont le fondement même de la vie humaine. Reste à rendre cette contrainte désirable pour tous.

Le séminaire organisé mardi 27 janvier à l’initiative de l’Institut Veblen, de la revue Projet et de la Chaire Reconversion écologique, travail, emploi et politiques sociales du Collège d’études mondiales – que dirige Dominique Méda - , a contribué à faire avancer la question en réunissant un grand nombre d’acteurs – décideurs publics, spécialistes de l’emploi et de la formation professionnelle, syndicalistes, acteurs locaux et bien entendu, chercheurs et universitaires. L’objectif : réfléchir ensemble aux conséquences sur l’emploi d’une politique de transition écologique ambitieuse.

Dans une société où le revenu découle de l’emploi et où le niveau de l’emploi est étroitement corrélé au niveau de l’activité, il est permis de s’inquiéter quand on nous explique qu’il va falloir consommer et produire moins !

Principale conclusion de cette journée : le niveau de l’emploi qui résultera des changements à venir demeure largement indéfini. Les travaux de modélisation existants sur le sujet permettent de tester l’impact de telle ou telle mesure, a ainsi expliqué Xavier Timbeau, de l’OFCE, mais ils ne peuvent mesurer l’impact d’une transformation systématique qui conduirait précisément à modifier les régularités implicites qui fondent ces mêmes modèles. De fait, à moyen- long terme, le niveau de l’emploi résulte de multiples arrangements sociaux et conventionnels qui peuvent se modifier radicalement comme nous l’apprend l’histoire longue.

D’autres travaux sectoriels, présentés par Philippe Quirion, du Cired ou Thomas Gaudin et Gaël Callonnec, de l’Ademe, permettent de mesurer l’impact d’une transition énergétique ambitieuse. Mais ils laissent relativement ouverte la question des effets finals sur le niveau de l’emploi faute de bouclage macro-économique. En fait, les décideurs publics, comme l’a illustré l’intervention de Cécile Jolly, de France Stratégie, raisonnent plutôt sur une base « poursuite des tendances passées », qui colle bien à une vision de l’avenir où domine encore une logique « business as usual ».

Les services statistiques de l’Etat s’efforcent néanmoins de mesurer précisément les évolutions en cours, une tâche compliquée par le caractère en partie inadapté des nomenclatures d’emploi et de qualification. Le chiffrage des emplois verts et verdissants est d’ailleurs soumis à caution. A écouter Sophie Margontier, du CGDD, on a pu constater qu’il mélange allègrement des emplois nouveaux, liés à l’émergence d’une autre économie soutenable – agriculture biologique, énergies renouvelables – comme des emplois dont le nombre pourrait être conduit à diminuer si l’économie devenait plus soutenable (récupération et traitement des déchets, y compris nucléaires !).

En fait, comme nous l’a rappelé Jean Gadrey, l’adaptation aux exigences du changement climatique ouvre un champ nouveau à de multiples activités – dans l’artisanat du bâtiment, dans les énergies renouvelables, dans l’agriculture biologique, dans le recyclage ou les services liés au développement d’une économie de fonctionnalité. Si, dans le même mouvement, on profite de la contrainte écologique pour aller vers une société plus inclusive, plus démocratique, moins inégalitaire, où l’économie serait mis au service du bien vivre individuel et collectif, d’autres gisements d’emploi ne manqueraient pas de se révéler, notamment dans toutes les activités liées au care.

Reste à gérer les reconversions indispensables. Et, sur ce plan, il est ressorti de cette journée de réflexion que la transition écologique est un bon révélateur des limites et difficultés des politiques d’emploi, de formation et de sécurisation des parcours professionnels mises en œuvre depuis quarante ans, dans un contexte de chômage de masse et d’hétérogénéité croissante des situations d’emploi. La nécessité d’agir au niveau des territoires, sous une forme qui ne se limite pas à une déconcentration des politiques nationales, a été souligné par Marie-Pierre Establie d’Argencé de l’Alliance Villes Emploi, par Eric Kniaz, du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais et Geoffroy De Schutter, d’écoconseil.be . Les responsables syndicaux présents – Bernard Gérin, de la FCE- CFDT et Joël Decaillon, ancien vice-président, au titre de la CGT, de la Confédération européenne des syndicats et président de Lasaire – ont insisté sur la nécessaire sécurisation des parcours et souligner la difficulté d’assurer les reconversions compte tenu des écarts de revenus, de conditions de travail et de statut entre les emplois parfois perdus et les emplois retrouvés. Nathalie Tessié, du CGDD et Paul Santelmann, de l’AFPA, ont pour leur part souligné les limites des politiques actuelles au vu des enjeux, qu’il s’agisse de sécuriser les parcours des salariés, ou de fournir aux secteurs en mutation, les salariés qualifiés dont ils ont besoin.

On comprend dans ces conditions que Julien Dourgnon, du magazine Alternatives Economiques, ait pu plaider en faveur de l’instauration d’un revenu de base inconditionnel, au motif que le retour au plein emploi attendu d’une transition écologique associant redistribution de l’emploi et réduction du temps de travail, est encore loin d’être acquis.

Texte paru également dans www.alterecoplus.fr

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