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Lettre à la Commission européenne sur les implications de l’arrêt Komstroy de la CJUE sur le TCE

Mathilde Dupré, 4 octobre 2021

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Sortir du traité sur la charte de l’énergie ou atteindre les objectifs climatiques : la Commission devra choisir

À la suite d’un arrêt rendu par la plus haute juridiction de l’UE, nous avons écrit à la Commission européenne avec ClientEarth, Climate Action Network Europe, Friends of the Earth Europe, International Institute for Sustainable Development, PowerShift, SOMO et Transnational Institute, pour lui demander d’encourager l’UE et les Etats membres à quitter le traité climaticide sur la charte de l’énergie (TCE) sous peine de ne pas atteindre leurs objectifs climatiques.

Lettre à la Commission

Le TCE est un traité d’investissement obsolète qui contient un mécanisme controversé de "règlement des différends entre investisseurs et États", un outil qui permet aux entreprises de contourner les tribunaux nationaux et de poursuivre les États pour obtenir des milliards de dollars de compensation devant des tribunaux d’arbitrage privés, notamment lorsque des mesures environnementales ou climatiques affectent leurs intérêts économiques.

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’UE le 2 septembre 2021 a confirmé que l’utilisation du mécanisme de différends relatifs aux investissements intra-européens n’est pas compatible avec le droit communautaire. Mais nous savons que cet arrêt n’empêchera peut-être pas les investisseurs et les entreprises de l’UE de réclamer des milliards de dollars de "compensation" devant des tribunaux arbitraux pour des changements réglementaires légitimes, comme l’élimination progressive du charbon, qui sont nécessaires de toute urgence pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE.

C’est pourquoi nous expliquons dans cette lettre que la seule solution pour l’UE est de se retirer du TCE.

"L’UE a un rôle crucial et de premier plan à jouer dans la lutte contre l’urgence climatique, mais son adhésion continue au Traité sur la Charte de l’énergie est un acte d’auto-sabotage stupéfiant.

Le traité est en fait une carte maîtresse que les entreprises qui détruisent le climat peuvent utiliser chaque fois qu’un gouvernement met en place une politique climatique positive. Cela risque de créer un effet paralysant au sein des gouvernements qui n’oseront pas introduire les changements dont nous avons besoin, par crainte d’une action en justice.

Bien que nous ayons maintenant une décision qui interdit l’arbitrage d’investissement dans l’UE, il est fort à craindre que les tribunaux obscurs qui supervisent ces litiges ne s’y conforment pas. Laisser les investisseurs et les arbitres ignorer la récente clarification de la Cour minerait l’État de droit dans l’UE et constituerait un exemple horrible."

Amandine Van Den Berghe, avocate pour ClientEarth

Les entreprises polluantes utilisent activement le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États pour obtenir des compensations pour leurs actifs potentiellement échoués. Cette année, les géants allemands du charbon RWE et Uniper ont tous deux porté plainte contre les Pays-Bas pour leur décision d’éliminer progressivement le charbon d’ici 2035, réclamant des dommages et intérêts combinés d’environ 2,4 milliards d’euros.

La Commission a tenté de moderniser le TCE et de l’aligner sur les objectifs climatiques - mais les efforts ont été vains. Aujourd’hui, des États membres comme la France, l’Espagne, la Pologne et la Grèce envisagent tous de quitter le traité.

La lettre demande à la Commission de commencer à préparer un retrait coordonné de l’UE, en collaboration avec les États membres. Cela devrait inclure l’abolition de la "clause crépusculaire", qui permet de porter des litiges relatifs à des investissements existants jusqu’à 20 ans après qu’une partie a quitté le traité. (voir la proposition de ClientEarth et de IISD à ce sujet).

Pour rappel :

  • Le traité sur la charte de l’énergie (TCE)est un accord international d’investissement plurilatéral, auquel l’UE et ses États membres sont parties (l’Italie l’a quitté en 2016), ainsi que des États non membres de l’UE. Il a été conçu par l’UE dans les années 1990, dans le contexte de l’après-guerre froide, pour protéger les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie (il couvre également le commerce et le transit de l’énergie entre les États).
  • En 2019, la cour d’appel de Paris a accepté de demander à la CJUE de se prononcer sur l’interprétation du TCE avant de décider d’annuler ou non une sentence ISDS de 49 millions de dollars obtenue par l’investisseur ukrainien Komstroy contre la Moldavie.
  • La procédure elle-même n’implique pas l’UE ou les États membres de l’UE, et les questions posées ne concernent pas l’applicabilité du TCE dans les litiges de l’UE. Cependant, pour décider si elle a la compétence d’interpréter les dispositions du TCE dans son cas spécifique, la CJUE a décidé d’examiner si la disposition ISDS du TCE (article 26) est applicable aux litiges au sein de l’UE.
  • L’avocat général a discuté de la légalité des procédures ISDS intra-UE basées sur le TCE dans cette affaire dans son opinion publiée en mars de cette année. Il a fait valoir que la disposition relative à l’ISDS contenue dans le traité CE est incompatible avec le droit communautaire.
  • Le 2 septembre, la CJUE a clarifié que l’utilisation du TCE dans les affaires intra-européennes est illégale. Cela a confirmé que les litiges intra-UE en cours utilisant ce mécanisme n’auraient pas dû être introduits en premier lieu. Cette décision fait suite à l’arrêt historique Achmea de 2018, qui avait déjà conclu que les dispositions relatives au règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) dans les traités bilatéraux d’investissement sont incompatibles avec le droit de l’UE, car elles écartent et sapent le pouvoir des tribunaux de l’UE.

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