Accéder directement au contenu

Peut-on miser sur un mix énergétique « 100% renouvelables » ? Quatre points de vue sur la question

Résumé du débat d’experts organisé le 21 mars par l’Institut Veblen

Wojtek Kalinowski , 28 mars 2023

Débat organisé autour de trois publications de l’Institut Veblen :

 le numéro 97 de l’Economie politique,« La transition énergétique à la croisée des chemins »

 l’ouvrage de Cédric Philibert, Eoliennes : pourquoi tant de haine ?, (L’Institut Veblen/Les Petits Matins, mars 2023)

 l’ouvrage d’Antoine de Ravignan Nucléaire : stop ou encore ? (L’Institut Veblen/Les Petits Matins, février 2022)












Peut-on décarboner la production de l’énergie et assurer la sécurité énergétique de la France en choisissant une politique du « l’électricité 100% renouvelable », dans laquelle le parc nucléaire actuel serait utilisé tant que les conditions de sûreté le permettent, mais ne serait plus développé ? Ou faut-il construire des centrales nucléaires nouvelles, comme le proposent Emmanuel Macron et le gouvernement depuis 2022, en préparant le terrain avec la récente loi sur « l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires » ?

C’est le thème du débat organisé par l’Institut Veblen le 21 mars dernier, auquel nous avons convié quatre experts avec une grande expérience dans ce domaine :
 Patrick Criqui, directeur de recherches émérite au CNRS, conseiller scientifique d’ENERDATA et chercheur associé à l’IDDRI.
 Robin Girard, enseignant chercheur à MINES Paris PSL, membre du Centre « Procédés, énergies renouvelables et systèmes énergétiques » (PERSEE)
 Cédric Philibert, ancien expert de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), chercheur associé à Ifri et auteur d’Eoliennes, pourquoi tant de haine ? (Les petits matins 2023)
 Philippe Quirion, directeur de recherches au CNRS, CIRED

Dans le débat qui a suivi, plusieurs personnes ont pu apporter des commentaires supplémentaires, notamment Valérie Faudon (déléguée générale de la Société française de l’énergie nucléaire et Jean-Louis Bal (président d’honneur du Syndicat des énergies renouvelables).

Revoir le débat ici

Résumé

La question posée aux intervenants était en réalité double : non seulement « peut-on ? » miser sur un mix 100% renouvelable, mais aussi « doit-on » le faire ?, poussant chacun à définir sa position et surtout les raisons qui l’y ont conduit. Nous avons jugé l’exercice utile comme une contribution au débat public sur la transition énergétique, dont la qualité laisse souvent à désirer : les deux sujets principaux qui sont la relance du nucléaire et le déploiement massif des énergies renouvelables suscitent de passions fortes et incitent aux prises de position souvent caricaturales, visibles autant dans les grands médias que sur les réseaux sociaux.

Les citoyens ne sont pas davantage aidés par la puissance publique, qui a sapé les efforts de la Commission nationale du débat public (CNDP) en annonçant la couleur sans attendre le résultats des consultations publiques. [1] Or c’est dans le cadre de la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et dans la prochaine loi Energie-Climat que les décisions devront être prises.

Points d’accord et de désaccord

Le sujet est évidemment très complexe mais notre échange a néanmoins permis de dégager quelques points d’accord et de désaccord qui éclairent l’enjeu et pourraient aider le public à s’approprier le débat.

Les points d’accord concernent la faisabilité technique et le rôle limité du calcul économique pour orienter la décision. Les tenants de le relance nucléaire comme les défenseurs de l’option « 100% renouvelables » sont vite tombés d’accord que les deux options étaient possibles techniquement (y compris les solutions de stockage et pour adapter les réseaux électriques), et que les estimations de leur coût financier respectifs sont entachées de telles incertitudes qu’elles ne peuvent pas servir de critère, d’autant plus qu’elles aboutissent à des écarts très modestes entre les chiffrages respectifs.

Sur le problème spécifique du coût du stockage et du lissage offre-demande dans un système électrique sans nucléaire, Cédric Philibert rappelait que le problème du coût ne se pose que tout à la fin de la sortie des énergies fossiles, pour la décarbonation des derniers 5% voire 2,5% de l’offre. Des centrales à gaz « en backup » permettent de résoudre le problème avec une quantité négligeable d’émissions CO2. Un parc nucléaire n’est donc pas nécessaire pour cette raison-là (celle de gérer les pics et équilibrer l’offre et la demande). Il peut cependant réduire les coûts globaux du système en réduisant le besoin global de flexibilité et d’extensions de réseau – à condition toutefois que le coût réel du nouveau nucléaire corresponde aux estimations avancées par EDF et reprises dans les scénarios de RTE ; or ces estimations paraissent très optimistes aux yeux de Philippe Quirion et Cédric Philibert.

Ni la faisabilité technique, ni le calcul financer ne dictent donc pas le choix ; ce constat n’est pas étonnant pour ceux qui connaissent le sujet, car on peut le lire dans les documents clefs comme les scénarios « Horizon 2050 » de RTE. Mais il a du mal à percer dans le débat public plus large.

Quant aux principaux désaccords :
D’abord et surtout, des appréciations divergentes quant au rôle du nucléaire comme réducteur d’incertitude et source de flexibilité de la politique énergétique. Pour Patrick Criqui (« ne pas fermer certaines portes ») et Robin Girard (« il faut avancer dans tous les sens en même temps »), préserver le nucléaire dans le mix énergétique de demain augmenterait la diversité du mix global et donc les marges de flexibilité face aux défis de demain. Dans un commentaire lors du débat qui a suivi, Valérie Faudon (Société française de l’énergie nucléaire) poussait l’argument plus loin en qualifiant de « stratégie sans regret » la construction des six nouveaux EPR. Dans la prospection et de la construction des scénarios, ce terme signale les choix les plus évidents car compatibles avec tous les scénarios, autrement dit des décisions à prendre avant de trancher sur d’autres points, où des arbitrages sont nécessaires entre des options irréconciliables.

Pour Philippe Quirion, le choix de la construction de nouvelles centrales créé au contraire des dépendances de trajectoire où les choix futurs doivent tenir compte des choix passés, de sorte que la flexibilité est tout sauf évidente. Si l’on lance aujourd’hui la construction de centrales sensées démarrer en 2035 mais qu’à cette échéance on se rend compte que les chantiers subissent des retards massif (comme tous les chantiers de ce type dans les pays occidentaux), on n’aura pas bénéficié de flexibilité, on aura simplement perdu du temps dans la mise en œuvre des autres options. A ceci s’ajoute l’urgence de la relance et les risques de nouvelles erreurs techniques qui peuvent en résulter.

Pour Cédric Philibert, il faut surtout engager le déploiement des renouvelables sur la piste du « 100% renouvelables » même si l’on engage six premiers EPR2, dont le bon achèvement et l’agenda de mise en route sont trop incertains. Robin Girard estime que si « tout marche comme prévu » - c’est-à-dire dans le scénario où le déploiement parallèle du nucléaire et des sources renouvelables avance comme prévu –, un surplus temporaire d’électricité bas carbone par rapport à nos besoins propres permettra de décarboner plus rapidement l’économie européenne.

C’est sur ce point que le débat méritera sans doute d’être approfondi et rendu plus concret. L’argument de la flexibilité par la diversité est intuitif tant qu’il reste abstrait, mais est-il applicable aux investissements aussi lourds et à des projets industriels aussi massifs que la construction des nouvelles centrales, qui engagent le mix énergétique pour un horizon très éloigné, en pratique jusqu’à la fin du siècle ? Peut-on décider d’arrêter ou de transformer un programme nucléaire au milieu de la route, par exemple si la compétitivité face aux sources alternatives se dégrade encore, ou en cas d’un incident technique qui bouleverse l’opinion publique ? Mais on peut aussi inverser la question comme l’ont fait Valérie Foudon et Patrick Criqui dans leur commentaires, et se demandant si la décision de ne pas lancer la construction des centrales n’est pas elle-aussi créatrice de tendances irréversibles, signant en pratique la fin de l’industrie nucléaire en Europe. D’un côté comme de l’autre, des dépendances de trajectoire se dessinent donc à l’horizon, quelle que soit la décision.

Deuxième point clef, des appréciations différentes quant à l’acceptation sociale et la possibilité réelle d’un déploiement des ENR aussi massif qu’un scénario « 100% » exigerait. Robin Girard rappelait ainsi comment le débat sur les éoliennes a évolué en leur défaveur dans l’espace de dix ans/ Dans un scénario sans centrales nouvelles, il faudrait multiplier par quatre la vitesse d’installation de nouvelles capacités ENR, en ajoutant 7 à 8 GW de capacités éoliennes et solaires par an, et ceci chaque année sans discontinuer jusqu’à 2050. C’est un rythme inédit en France, mais il a été atteint en Allemagne dans le cadre de l’Energiewende.

Mais si les obstacles ne sont pas d’ordre technique, comment expliquer alors la faible acceptabilité sociale ? S’agit-il surtout, comme le prétend Cédric Philibert, de la mauvaise compréhension des enjeux par la classe politique, les uns rêvant d’un retour aux heures glorieuses du nucléaire des années 70%, les autres surestimant les possibilités de la sobriété ou rêvant de décroissance ? Patrick Criqui répond par la négative : l’opposition provient surtout du terrain, de la société elle-même, « peut-être parce que les politiques ont mal accompagné mais c’est une autre question ».

Ces deux points n’épuisent naturellement pas le débat contradictoire dont nous avons besoin pour faire un choix informé, loin s’en faut. Un aspect essentiel mais dont nous n’avons pas pu parler concerne les estimations du potentiel de la biomasse pour répondre à la demande globale d’énergie : les commentaires de Valérie Faudon et de Jean-Louis Bal soulignaient ainsi l’impossibilité d’assurer 45% de la demande finale d’énergie avec la biomasse, et donc la nécessité d’aller au-delà de 55% dans l’électrification.

Revoir les interventions et la discussion

N’évacuer aucune option - Patrick Criqui

Un mix 100% renouvelables est possible - Philippe Quirion

Concilier nucléaire et renouvelables - Robin Girard

Lever les barrières politiques au déploiement des renouvelables - Cédric Philibert

La discussion entre experts


[1Ainsi le Sénat a utilisé l’examen du projet de loi « accélération » pour y introduire l’objectif de 50% du nucléaire à l’horizon de 2050, ce qui suppose au moins quatorze nouveaux réacteurs. L’amendement sénatorial a certes été retiré par les députés, mais le dommage est fait, et la CNDP a annoncé que le débat ne porterait plus sur la construction de six nouveaux réacteurs EPR, mais « sur la place du public dans la gouvernance de la politique nucléaire. Le débat public sur le nucléaire se bat pour exister, Alternatives Economiques, 3 février 2023.

Abonnez-vous à la Newsletter