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Plus de 200 scientifiques et leaders climatiques demandent la fin de la protection des fossiles

Mathilde Dupré, 8 décembre 2020

Aujourd’hui, plus de 200 scientifiques et personnalités engagées dans la lutte contre le changement climatique publient ce mardi 8 décembre une lettre ouverte appelant les gouvernements à se retirer du traité de la charte de l’énergie (TCE) pour mettre en œuvre le Green Deal européen.
Le TCE protège en effet les investissements étrangers dans les fossiles et fait obstacle à toute transition vers une énergie propre.

Parmi les signataires figurent ainsi ainsi Laurence Tubiana, Directrice d’ECF et ancienne ambassadrice française pour le climat, Rachel Kyte, Ancienne Représentante spéciale des Nations Unies pour l’énergie durable pour tous, Connie Hedegaard, Ancienne commissaire européenne au climat Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue et co-présidente du groupe nᵒ 1 du GIEC, Olivier de Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation ou encore Sandrine Dixson-Declève, Co-Présidente du Club de Rome.

Dans la perspective du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, cette initiative, ainsi que d’autres déclarations lancées par des mouvements de jeunesse, des parlementaires européens et des acteurs privés, définit les mesures concrètes qui doivent être prises pour mettre fin à la protection des investissements fossiles et quitter le TCE.

Les entreprises du secteur du charbon, du pétrole et du gaz utilisent le TCE pour exiger des compensations exorbitantes aux pays signataires du traité, par le biais du règlement des différends entre investisseurs et États, avec des conséquences désastreuses pour les contribuables et l’objectif de neutralité climatique.

Selon le professeur Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’Homme :
"Le traité de la Charte de l’énergie est un outil entre les mains des acteurs les plus riches et les plus puissants de la société et leur permet de faire obstacle à des décisions d’intérêt général urgentes, comme la lutte contre le changement climatique et la mise en place d’une énergie propre et abordable pour tous. Il porte atteinte à la démocratie, c’est pourquoi les pays européens devraient initier un retrait commun dès que possible".

Sandrine Dixson-Declève, coprésidente du Club de Rome, a déclaré :
"Le traité de la charte de l’énergie va à l’encontre de la position dominante de l’UE en matière de climat, de la prise de décision fondée sur des données scientifiques et de la stratégie de désinvestissement de la Banque européenne d’investissement. Les dirigeants européens doivent se retirer de ce traité archaïque sans tarder".

Dr Yamina Saheb, auteur principal du GIEC et analyste de la politique climatique et énergétique au sein de OpenEXP ajoute :
“Le processus de modernisation du TCE est un échec. Les ministres de l’UE devraient mettre fin à ce processus lors de la conférence de la Charte de l’énergie de décembre 2020".

Si le Traité de la charte de l’énergie reste inchangé, la protection des investissements étrangers dans les combustibles fossiles qu’il offre, risque de conduire d’ici 2050 à

  • Plus d’émissions de GES : au moins 216 gigatonnes d’émissions de gaz à effet de serre protégées par le TCE. Cela équivaudrait à plus d’un tiers du budget carbone mondial restant pour la période 2018-2050.
  • Coûts exorbitants : environ 2 150 milliards d’euros d’actifs potentiellement échoués dans les fossiles protégés par le TCE. Le coût potentiel des demandes de compensations financières par des investisseurs à travers l’ISDS pourrait s’élever à hauteur de 1 300 milliards d’euros d’ici 2050, dont 42 % seraient supportés par les contribuables européens. Pour rappel, l’UE estime les investissements nécessaires pour mettre en œuvre le Green Deal européen à 1 000 milliards d’euros au cours des dix prochaines années.
  • Des risques accrus pour le pays en développement : les pays disposant de réserves fossiles importantes pourraient se retrouver prisonniers d’un système énergétique à forte intensité de carbone avec des répercussions sur la santé humaine dans les décennies à venir.

Le 2 décembre, pour la toute première fois, la Commission européenne a déclaré publiquement que le retrait du TCE constituait une option, en cas d’échec du processus de modernisation en cours. Les scientifiques et personnalités engagées dans la lutte contre le changement climatique signataires de cette lettre ouverte demandent donc instamment à l’UE et à ses États membres de faire du retrait du TCE une priorité.

Notes :

(1) Cette lettre ouverte fait suite à la mobilisation de parlementaires européens, des organisations de la société civile et des syndicats et à la publication, le 8 décembre, d’autres déclarations du Groupe d’investisseurs institutionnels sur le changement climatique (IIGCC), de Generation Climate Europe et de la Fédération européenne des énergies renouvelables (EREF) doivent être publiées également aujourd’hui et demain.

(2) La lettre des scientifiques et personnalités engagées dans la lutte contre le changement climatique appelle l’Union européenne et les 53 signataires du TCE à prendre immédiatement les dispositions suivantes :

 Se retirer du Traité de la Charte de l’énergie. Le TCE est obsolète. Le processus de réforme en cours du traité (dit de "modernisation") ne doit pas servir de prétexte pour différer le retrait, car il ne rendra pas le TCE conforme à l’accord de Paris. La fin de la protection des investissements étrangers dans les combustibles fossiles n’est même pas sur la table des négociations, et elle serait de toute façon inacceptable pour de nombreux signataires du TCE, qui doivent accepter les réformes à l’unanimité.

 Travailler à un accord collectif pour mettre fin à la "clause crépusculaire". Cette clause permet aux investisseurs de poursuivre les gouvernements pendant 20 ans après qu’ils se sont retirés du TCE. Pour atténuer ce problème, nous appelons les pays à se retirer du TCE simultanément et à adopter un accord excluant les réclamations des investisseurs au sein de ce groupe de pays.

 Interrompre les efforts d’expansion du TCE au niveau international. Pour l’heure, des dizaines de pays à faible et moyen revenus, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, sont encouragés à rejoindre le TCE. L’Union européenne finance ce processus d’expansion à l’aide de fonds publics. Ce mouvement d’expansion doit être arrêté.

Pour aller plus loin :
OpenExp, 2020 : Modernisation of the Energy Charter Treaty : A global tragedy at a high cost for the taxpayer
Energy Charter (2019). Updated statistics on Investment cases under the Energy Charter Treaty. October

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