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Quel sera le sort des nouvelles politiques d’accès au marché fondées sur des critères de durabilité au sein de l’OMC ?

Mathilde Dupré & Stéphanie Kpenou, 30 mai 2023

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Il y a un an, l’Institut Veblen a déposé deux mémoires d’amicus curiae dans les différends OMC opposant l’Indonésie et la Malaisie à l’Union européenne, initiés respectivement en mars 2020 et en avril 2021.

Il s’agit des premiers litiges de l’OMC portant sur des mesures de lutte contre le changement climatique. L’Institut Veblen a fait valoir les points suivants :

  • Les mesures environnementales et climatiques ne violent pas l’obligation de traitement national uniquement parce qu’elles sont susceptibles de nuire de facto aux opportunités de concurrence des produits importés par rapport aux produits nationaux. Les mesures qui n’ont pas été volontairement élaborées dans le but de protéger l’industrie nationale, mais qui poursuivent un objectif légitime et non protectionniste, ne doivent pas être considérées comme illégales.
  • En l’absence de consensus international sur des critères de durabilité pertinents, les États ne devraient pas être empêchés d’adopter leurs propres critères ; ils devraient disposer d’une autonomie suffisante pour déterminer les critères de durabilité sur lesquels fonder leurs mesures de protection de l’environnement et d’atténuation du changement climatique, conformément au principe de précaution.

La décision sur le différend indonésien, qui était déjà attendue pour septembre 2022, a été reportée à plusieurs reprises. Un groupe spécial n’est pas tenu de prendre en considération les interventions volontaires de parties tierces. Cela étant dit, nous espérons que les reports successifs de la publication de la décision auront donné au groupe spécial tout le temps nécessaire pour examiner les principaux éléments d’analyse que nous avons portés à son attention.

Dans un contexte de résurgence des conflits sur les politiques basées sur les processus et les méthodes de production ("PMP") (comme le montrent les oppositions contre le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, les réglements sur la déforestation importée et sur les néonicotinoïdes. Voir l’encadré 1), les décisions sur l’huile de palme pourraient être des décisions historiques sur la légalité des mesures de protection de l’environnement et d’atténuation du changement climatique dans le cadre de l’OMC.

L’Institut Veblen estime que les objectifs environnementaux et climatiques (consacrés en tant qu’objectifs à part entière de l’OMC) ne peuvent être atteints, en l’absence d’accord international pertinent, que si les membres de l’OMC conservent une marge de manœuvre réglementaire suffisante pour appliquer des mesures non protectionnistes. Simon Manley, ancien président du comité du commerce et de l’environnement de l’OMC, a bien résumé la situation lorsqu’il a suggéré que les Etats membres de l’OMC examinent toutes les options disponibles pour permettre de distinguer les produits sur la base de leur mode de production. Reconnaissant que la question des PMP est " l’une des grandes zones d’ombre du droit de l’OMC ", M. Manley estime que le débat devrait être approfondi compte tenu de l’urgence climatique et de la nécessité d’encourager la production et le commerce de biens à faible teneur en carbone (1).

Encadré 1. Opposition à l’OMC contre plusieurs mesures de l’UE relatives aux PMP
  • Lors de la réunion du Comité du commerce et de l’environnement de l’OMC du 14 mars 2023, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et le règlement sur la déforestation de l’UE ont provoqué une levée de boucliers de la part de l’Inde, soutenue par d’autres États membres, comme le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay, la Colombie, le Nicaragua, le Kenya, la Chine et la Russie, mais aussi par des pays industrialisés comme le Japon et la Corée, qui ont également exprimé certaines inquiétudes à propos du MACF. L’Inde a présenté un document critiquant le recours croissant à des mesures unilatérales pour lutter contre le changement climatique (2). Du point de vue de l’Inde, le MACF privilégie une politique unilatérale du pays importateur par rapport à celles des pays exportateurs et, par conséquent, impose une vision unilatérale de la manière de lutter contre le changement climatique. L’Inde a fait valoir que le MACF violait les règles fondamentales des accords de l’OMC et que la réduction des émissions de gaz à effet de serre devait rester un effort mondial fondé sur les principes d’équité et de responsabilités communes mais différenciées.
  • L’Inde a également critiqué la récente mesure de l’UE interdisant l’accès au marché européen des produits contenant des résidus de néonicotinoïdes pour des raisons environnementales. L’Inde s’est dite préoccupée par le fait que ces mesures soient imposées sans tenir compte des différences de conditions climatiques et des sols dans le monde, ce qui risque de compromettre le lien entre ces mesures et l’objectif qu’elles sont censées atteindre.
  • En ce qui concerne le règlement sur la déforestation importée, l’Indonésie et le Brésil ont soumis une communication commune en novembre 2022 au Comité de l’agriculture de l’OMC (3), regrettant le choix de l’UE de recourir à une législation unilatérale au lieu d’un engagement international pour traiter les objectifs de conservation et de gestion durable des forêts et de lutte contre le changement climatique (4). Les deux pays se disent convaincus que "les restrictions commerciales sont inadaptées pour répondre aux préoccupations environnementales" (5). Ils soulignent également que le règlement "ne tient pas compte des conditions locales et des législations nationales des pays producteurs en développement, ni de leurs efforts pour lutter contre la déforestation". Un observateur a indiqué que le Brésil et l’Indonésie, soutenus par le Paraguay, l’Argentine et l’Équateur, ont réitéré leur opposition à l’approche de l’UE lors de la dernière réunion de la commission de l’agriculture (qui s’est tenue les 27 et 28 mars 2023) (6). Ces pays ont soulevé une fois de plus l’incompatibilité potentielle du règlement avec les règles de l’OMC ainsi que son incapacité à reconnaître les différents statuts de développement des pays producteurs.

Notes :
(1) Borderlex, Interview – WTO needs to consider process and production methods, 20/10/2022 “if WTO countries were to embrace the PPM principle more clearly, it might create scope to deny tariff preferences in the future to products which did not meet agreed low-emission standards”.
(2) Job/TE/78 “Concerns on Emerging Trends of Using Environmental Measures as Protectionist Non-Tariff Measures” . L’accès au document est restreint, mais une analyse est disponible sur le lien suivant : WTO : India galvanizes South over North’s unilateral environment measures
(3) Lettre conjointe soumise par l’Indonésie et le Brésil au Comité de l’agriculture de l’OMC, "Proposition de règlement de l’UE sur les produits exempts de déforestation", 29 Novembre 2022
(4) Ils expriment également leurs préoccupations quant à "la nature incertaine et discriminatoire du champ d’application des produits, des définitions qui ne font pas l’objet d’un consensus au niveau multilatéral, une date limite rétroactive, un mécanisme de diligence raisonnable lourd et des critères d’évaluation des risques subjectifs, des exigences de traçabilité et de géolocalisation coûteuses et peu pratiques, et une période de transition insuffisante définie unilatéralement, qui pourrait augmenter les coûts et avoir des conséquences sociales et économiques négatives pour les pays en voie de développement". Ibid. [notre traduction]
(5) Ibid.
(6) Tweet de Rob Francis

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