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Retrait du Traité sur la charte de l’Energie : le travail n’est pas fini

Mathilde Dupré, 20 novembre 2023

La 34ème réunion annuelle de la Conférence de la Charte de l’Énergie se déroulera le 20 Novembre par visioconférence. Toutefois, l’accord politique sur la modernisation du Traité sur la charte de l’Énergie (TCE) ne sera pas examiné à cette occasion en l’absence de consensus. Un an après le début d’une vague sans précédent d’annonces de retrait d’Etats parties du TCE, et à quelques jours de l’ouverture de la COP 28, où en sommes nous ?

Modernisation du TCE

2022

  • Un accord politique sur la modernisation du TCE a été annoncé à l’occasion de la conférence ad hoc du 24 juin 2022, après 14 rounds de négociations.
    Cet accord de principe vise à mettre fin à la protection des investissements dans le secteur fossile pour les Etats membres de l’UE et le Royaume Uni, à un rythme bien trop lent pour atteindre les objectif de transition énergétique et contient de nombreuses lacunes. En outre, il laisserait inchangée la protection des investissements fossiles dans les 23 autres Etats parties du TCE.
  • Après une première vague d’annonces unilatérales de retrait du TCE, il n’y a pas eu de majorité au Conseil de l’UE pour adopter le projet de modernisation à l’occasion de la conférence de la charte de l’Énergie, tel que proposé par la Commission.
  • La modernisation du Traité a donc été retirée de l’ordre du jour de la 33ème réunion de la Conférence de la charte de l’Energie, qui s’est déroulée le 22 novembre 2022.
  • La tenue d’une nouvelle réunion ad hoc a alors été annoncée d’ici avril 2023 pour adopter le projet de modernisation. Mais elle n’a jamais eu lieu.
  • Le Parlement européen a adopté une résolution en Novembre 2022 dans laquelle il "prie instamment la Commission d’engager immédiatement le processus devant conduire à un retrait coordonné de l’Union du TCE et invite le Conseil à soutenir cette proposition ; estime qu’il s’agit de la meilleure option pour l’Union afin d’assurer la sécurité juridique et d’empêcher le TCE de compromettre davantage les ambitions de l’Union en matière de climat et de sécurité énergétique.”

2023

  • Un non-papier de la Commission européenne a été présenté aux Etats membres de l’UE soulignant qu’ “ un retrait de l’UE et d’Euratom du Traité sur la Charte de l’Énergie apparaît inévitable”. "Les services de la Commission considèrent l’option 1 [retrait coordonné de l’UE, d’Euratom et des Etats membres du TCE] comme l’option la plus adéquate"
  • La Commission européenne a proposé un retrait coordonné de l’UE du TCE au Conseil le 7 juillet
    Le vice-président exécutif en charge du Paquet vert européen, Frans Timmermans, a alors déclaré : “L’obsolète traité sur la Charte de l’Énergie n’est pas aligné avec notre loi climat européenne et nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris. Il est temps pour l’Europe de se retirer du Traité et de consacrer tous nos efforts à la construction d’un système énergétique efficace et compétitif”.
  • Aucune décision n’a encore été prise au Conseil.

Vague d’annonces de retraits

  • Depuis Octobre 2022, 9 Etats membres de l’UE ont annoncé leur décision de se retirer du TCE : la Pologne, l’Espagne, les Pays-Bas, la France, la Slovénie, l’Allemagne, le Luxembourg, le Danemark, et le Portugal. L’Irlande a aussi exprimé son soutien à un retrait coordonné.
  • Parmi ces pays, quatre ont officiellement notifié leur retrait. La France, l’Allemagne et la Pologne ne seront plus des pays signataires du TCE à partir de décembre 2023 et le Luxembourg à partir de Juin 2024.
  • Le gouvernement britannique a annoncé en Septembre 2023 qu’il réexaminerait sa participation au Traité sur la charte de l’Énergie, et envisagerait un retrait si la modernisation n’était pas adoptée en novembre.
  • Le gouvernement suisse a aussi récemment déclaré qu’il pourrait examiner un retrait si la modernisation n’a pas lieu ou si beaucoup d’Etats membres quittent le traité.

Pour plus de détails

Rapports officiels soulignant l’incompatibilité du TCE avec l’action climatique

  • Dans son sixième rapport, le GIEC a reconnu que les traités internationaux d’investissement, en particulier le Traité sur la charte de l’Énergie contraignent la capacité des Etats d’adopter des politiques ambitieuses de lutte contre le changement climatique.
  • En octobre 2022, le Haut Conseil pour le Climat a publié un avis sur la modernisation du TCE dans lequel il a conclu que le TCE, même dans sa forme modernisée, n’était pas compatible avec les engagements climatiques actuels et a recommandé un retrait coordonné avec une neutralisation de la clause de survie.
    "Le Haut Conseil du Climat conclut que le TCE, même sous une forme modernisée, n’est pas compatible avec les engagements et objectifs climatiques 2030 de la France et de l’Union européenne."
    "Un retrait coordonné du TCE par la France et l’Union européenne, couplé à une neutralisation de sa "clause de survie", apparaît comme l’option la moins risquée pour le respect des engagements climatiques nationaux, européens et internationaux. Un tel retrait permettrait également de sensibiliser l’ensemble des autres signataires et de limiter l’extension géographique du TCE à de nouvelles parties qui seraient exposées aux mêmes risques d’incompatibilité entre les dispositions du traité et la poursuite de leurs objectifs climatiques".
  • En juin 2023, le Conseil britannique sur le changement climatique a déclaré que la réforme du TCE de 2022 était insuffisante et recommandé que le Gouvernement britannique se retire du Traité, en soulignant qu’une participation “à des traités obsolètes comme le TCE risquait de retarder la transition bas carbone”.
  • Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains et l’environnement, David Boyd, a aussi appelé les Etats à mettre fin unilatéralement ou conjointement aux traités internationaux d’investissement qui contiennent un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (ISDS en anglais), y compris le Traité sur la Charte de l’Energie, dans son rapport alertant sur "l’explosion des cas de RDIE déposés par les investisseurs fossiles" utilisant les traités d’investissement, en particulier le TCE.

Nouveaux cas

Pendant ce temps, le stock des investissements fossiles protégés continue de progresser (avec par exemple les nouvelles concessions de forage pétrolier et gazier au Royaume-Uni) et le nombre de cas de différends aussi.

  • 14 nouveaux cas connus depuis l’annonce de l’accord de principe sur la modernisation du TCE selon la base de données du CIRDI

Derniers litiges en date

  • Plusieurs entités appartenant au groupe Klesch, un groupe spécialisé dans les matières premières fondé en 1990, ont déposé des recours en arbitrage contre le Danemark, l’Allemagne et l’Union européenne, sur le fondement du TCE.
    Le litige porterait sur les deux raffineries détenues par le groupe Klesh : la raffinerie Heide en Allemagne achetée à Shell en 2010 et la raffinerie de Kalundborg au Danemark, achetée à Equinor à la fin de l’année 2021.
    Dans une réponse à une question parlementaire, le 20 octobre 2023, le Ministre allemand pour les affaires économiques et l’action climatique a dévoilé que le litige découle de l’introduction en octobre 2022 du règlement européen 2022/1854 sur une intervention d’urgence pour faire face à la hausse des prix de l’énergie (taxe sur les bénéfices exceptionnels de 33 % sur les revenus excédentaires générés par les activités pétrolières, gazières, charbonnières et de raffinage).
    (October 24, 2023. Case Details / Case Details / Case Details)

Il s’agit du deuxième cas d’arbitrage d’investissement contre l’UE en tant que telle.

  • L’Allemagne est poursuivie par la société suisse Azienda Elettrica Ticinese pour la fermeture d’une centrale électrique au charbon sans compensation. Conformément à la loi allemande de sortie du charbon, les exploitants de charbon importé pouvaient faire une offre pour la fermeture de leur centrale. Les offres les plus basses ont été retenues et ont donné lieu à une indemnisation pour la fermeture. La centrale de Trianel n’en a pas obtenu et doit être fermée en 2032. (Oct, 20 2023 : Case Details)
  • La Slovénie est poursuivie par Ascent (une société énergétique basée au Royaume Uni et ayant des intérêts dans un projet gazier à Petisovci), suite à sa décision d’interdire la fracturation hydraulique. Cette affaire a été introduite en vertu du TCE et du traité bilatéral d’investissement entre le Royaume Uni et la Slovénie ? Les plaignants cherchent à obtenir 656,5 millions d’euros de dommages et intérêts de la part de la Slovénie, alors que les investissements réalisés par Ascent en juin 2019 s’élevaient à environ 50 millions d’euros. (Sept 1, 2022, Case Details)

Des dépenses accrues pour les Etats parties au TCE en raison des nombreux retraits

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