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Traité sur la Charte de l’énergie : plus de 250 parlementaires européens demandent une réforme ambitieuse ou un retrait rapide

Mathilde Dupré, 3 novembre 2020

Plus de 250 membres du Parlement européen et des parlements nationaux issus de 20 Etats demandent que l’UE et ses États membres se retirent du traité sur la charte de l’énergie si les négociations en vue de sa modernisation n’aboutissent pas cette année. A l’occasion de l’ouverture aujourd’hui du troisième cycle de négociations pour la réforme du traité sur la charte de l’énergie (TCE), les parlementaires européens appellent les négociateurs de l’Union européenne à saisir cette dernière chance de renforcer leurs exigences climatiques dans le cadre de ce processus de modernisation.

102 membres du Parlement européen et 151 parlementaires nationaux, issus de 20 Etats, et de plus de 6 groupes politiques (S&D, Renew Europe, PPE, Verts/ALE, GUE/NGL et non-inscrits) ont signé une déclaration sur la réforme du TCE. Ils demandent d’exclure tous les combustibles fossiles de la protection des investissements offerte par le traité et de modifier fondamentalement ou de supprimer le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE ou ISDS en anglais). Si ces deux objectifs ne sont pas atteints à la fin du 3e cycle qui se déroule cette semaine, ils demandent instamment à l’UE et aux États membres "d’explorer les voies d’un retrait commun du TCE d’ici à la fin de 2020".

Le TCE protège les investissements dans les émissions de gaz à effet de serre et permet aux investisseurs étrangers de poursuivre les gouvernements pour avoir pris des mesures climatiques devant des tribunaux privés [1]. Si les combustibles fossiles ne sont pas éliminés progressivement, les émissions cumulées de gaz à effet de serre protégées par le TCE en 2050 équivaudraient à un tiers du budget carbone mondial restant pour la période 2018-2050 [2].

Le 7 octobre 2020, le Parlement européen a adopté un amendement dans la loi européenne sur le climat exigeant la fin de la protection des investissements dans les combustibles fossiles dans le cadre du TCE [3]. Pourtant, en dépit de ce message fort adressé aux négociateurs, la Commission européenne n’a pas réussi à adopter une position ambitieuse pour une réforme du TCE compatible avec sa politique climatique. Une proposition de la Commission récemment publiée sur la définition de l’activité économique permettrait de protéger les investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz pendant au moins encore dix ans, sans compter que les investissements dans les infrastructures gazières pourraient être protégés jusqu’en 2040. En outre, des technologies controversées telles que l’hydrogène ou la biomasse pourraient désormais faire partie des investissements protégés par le traité.

Une telle réforme ne serait pas compatible avec l’accord de Paris et le Green Deal européen. Faute d’ambition, cette proposition, si elle était adoptée, pourrait même favoriser un accroissement des poursuites contre les États cherchant à atteindre la neutralité climatique et à éliminer progressivement les combustibles fossiles. Elle engendrerait ainsi des compensations toujours plus élevées issues de l’argent des contribuables pour dédommager les entreprises polluantes [4].

Pour Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen : "La Commission fait pour l’instant la sourde oreille aux demandes très claires formulées par le Parlement. Mais quelles que soient les propositions de l’UE dans ces négociations, les autres Etats parties à ce traité obsolète semblent ne rien vouloir changer [5]. S’il n’est pas possible de réformer le TCE pour le rendre compatible avec l’accord de Paris et le Green Deal européen, la seule solution est un retrait collectif, coordonné et rapide de cet accord".

Notes

[1] Le traité sur la charte de l’énergie est un traité international de coopération énergétique. L’UE et tous les États membres de l’UE, à l’exception de l’Italie, sont membres du traité. Il a été signé en décembre 1994 et est fortement critiqué pour son incompatibilité avec l’accord de Paris sur le climat. C’est aujourd’hui le principal traité international utilisé par les entreprises fossiles pour contester les décisions gouvernementales visant à protéger l’environnement ou à lutter contre le changement climatique. Les membres du traité ont entamé des négociations en vue de le réformer.

[2] Modernization of the Energy Charter Treaty : A global tragedy at a high cost for taxpayers (2020), Yamina Saheb, OpenExp.

[3] Le 7 octobre 2020, le Parlement européen a adopté l’amendement 143/2 dans la européenne sur le climat : "l’Union met fin à la protection des investissements dans les combustibles fossiles dans le cadre de la modernisation du traité sur la charte de l’énergie".

[4] La liste des litiges connus dans le cadre du TCE est disponible à l’adresse suivante.
Quelques 130 affaires découlant des dispositions du TCE sont connues à ce jour, dont 67 toujours en cours et 83 correspondent à des différends entre des investisseurs et des pays de l’UE (soit 64%). Parmi les litiges les plus emblématiques, on peut citer les deux plaintes de Vattenfall contre l’Allemagne (pour contester les règles environnementales imposées sur une centrale à charbon puis la décision de sortie du nucléaire), celle de Rockhopper Exploration contre l’Italie (suite à l’interdiction du forage offshore) ou la menace de plainte d’Uniper contre la fermeture d’une centrale à charbon aux Pays-Bas.

[5] Le 22 octobre 2020, la commissaire à l’Energie Kadri Simson s’est adressée au Parlement européen lors d’un débat en plénière sur le thème "Aligner le TCE sur le Green Deal". Elle a souligné qu’une "réforme substantielle" de l’accord était nécessaire. Elle a également reconnu qu’une modernisation réussie sera un défi, soulignant à plusieurs reprises que les parties contractantes ont des opinions divergentes.

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