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CETA et bœuf aux hormones : des « défaillances » dans le contrôle des importations en Europe

Un audit européen pointe des « défaillances » dans la traçabilité du bœuf canadien. Avec un risque que des traces d’hormones de croissance se retrouvent dans les assiettes.

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Publié le 18 septembre 2020 à 10h13, modifié le 18 septembre 2020 à 11h30

Temps de Lecture 4 min.

Des bovins, dans un élevage à Calgary, dans l’ouest du Canada, en 2003.

« On nous accusait d’être des agitateurs de peur : on a maintenant la confirmation qu’il y avait des raisons de s’inquiéter. » Comme Mathilde Dupré, la codirectrice de l’Institut Veblen (think tank spécialisé sur la transition écologique), plusieurs ONG ont découvert cet été avec stupéfaction sur le site de la Commission européenne ce qui ressemble à une munition idéale dans leur guerre de tranchée contre le CETA, le controversé accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada.

Cet audit de vingt-sept pages, rédigé par les experts en sécurité alimentaire de la Commission, a été publié dans l’indifférence quasi générale en mai 2020, au cœur de la pandémie liée au coronavirus. Son contenu était pourtant très attendu : c’est la première fois, depuis l’entrée en vigueur du CETA en 2017, que les Européens inspectent les élevages bovins canadiens destinés au marché européen, pour vérifier qu’ils respectent nos normes – et en particulier l’interdiction d’hormones de croissance, très répandues au Canada mais proscrites sur le sol européen depuis 1988.

L’audit pointe également un « conflit d’intérêts potentiel » chez les vétérinaires

Le résultat est pour le moins inquiétant : alors que le CETA a ouvert aux éleveurs canadiens la possibilité d’exporter trois fois plus de bœuf vers l’Europe, les experts relèvent plusieurs « défaillances » dans le contrôle de la traçabilité du bétail. Incomplètes, les bases de données canadiennes ne permettent pas de suivre efficacement les bêtes estampillées « sans hormones » pour s’assurer qu’elles ne soient pas confondues avec les autres. L’audit pointe également un « conflit d’intérêts potentiel » chez les vétérinaires chargés d’évaluer le respect des normes sanitaires : exerçant à titre privé, ceux-ci sont « rémunérés par les exploitants qu’ils contrôlent », tout en leur apportant, en parallèle, « une assistance zootechnique et sanitaire ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Faut-il ratifier ou non le CETA ?

Impossible de détecter la présence d’hormones

Tous ces problèmes avaient déjà été soulevés lors d’un précédent audit, en 2014, et auxquels le Canada n’a toujours pas remédié. La conclusion des experts européens est sévère : le système actuel « n’est pas en mesure d’apporter la garantie que seuls les établissements pleinement conformes continuent à figurer sur la liste des établissements autorisés à exporter vers l’UE ».

Faut-il, dès lors, craindre que du bœuf aux hormones soit arrivé dans nos assiettes ? « Il est impossible de le savoir, car la présence d’hormones n’est pas testée lors de l’entrée sur le territoire français, explique Jean-Luc Angot, chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire au ministère de l’agriculture. De tels contrôles seraient de toute façon inutiles, car les doses sont trop faibles pour être détectables. »

« On parle ici des hormones, mais cela pourrait être autre chose », relève Jean-Luc Angot

Elément « rassurant », les quantités de viande canadienne importées en France restent pour l’instant minimes : 104 « tonnes équivalent carcasse » en 2019 – l’équivalent de 0,01 % de la production française. « Même s’il n’y a pas de risque majeur pour la santé publique, cela pose un problème de confiance dans le respect, par le Canada, des normes européennes : on parle ici des hormones, mais cela pourrait être autre chose », relève M. Angot, qui rappelle les craintes soulevées en 2019 autour des règles d’utilisation des farines animales ou des antibiotiques par les producteurs canadiens.

Interpellé par les ONG sur cette découverte embarrassante, relayée le 28 juillet par le magazine La France agricole, le gouvernement français n’a pas jugé utile de protester publiquement. Le cabinet du ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, assure toutefois qu’une lettre a été adressée le 4 août à la Commission européenne pour exprimer la « préoccupation » de la France, et s’étonner du silence radio de l’exécutif bruxellois sur le sujet.

« Discuter avant de décider quoi que ce soit »

La Commission européenne semble pour l’instant vouloir jouer l’apaisement : elle assure avoir entamé des échanges avec le Canada pour aboutir à des « mesures correctives », qui devraient être officiellement présentées lors d’une réunion Europe-Canada sur les mesures phytosanitaires, en novembre. Le vétérinaire en chef du Canada, Jaspinder Komal, confirme que son pays « s’emploie déjà à donner suite aux recommandations » de l’audit, tout en se félicitant que « dans l’ensemble » le rapport confirme que « le système canadien d’inspection des viandes fonctionne comme prévu ».

« Il faut mettre les Canadiens devant leurs responsabilités », précise Samuel Leré

« On veut une réponse rapide et à la hauteur de la part du Canada », assure-t-on du côté du gouvernement. Insuffisant, clame Samuel Leré, de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme : « Il faut mettre les Canadiens devant leurs responsabilités, et ça ne peut pas se faire dans un comité technique qui n’est pas ouvert au public. » Selon lui, « la France et l’UE doivent clarifier leur position en prenant des sanctions contre le Canada, le temps que les changements soient effectifs ».

Certains observateurs évoquent une possible activation des clauses de sauvegarde du CETA, qui permettraient de bloquer provisoirement les importations bovines. « Nous allons d’abord discuter avant de décider quoi que ce soit », tempère la Commission, qui n’a pas encore programmé de nouvel audit au Canada, comme le lui réclamait le gouvernement français.

Ce nouvel épisode pourrait raviver les braises du débat sur le CETA, qui avait divisé la majorité macroniste lors de sa ratification à l’Assemblée nationale, à l’été 2019. Combattu par un front hétéroclite d’agriculteurs, d’organisations écologistes et d’adversaires du libre-échange, l’accord commercial est une sérieuse épine dans le pied du gouvernement. En juin, le président Emmanuel Macron a rejeté la renégociation du CETA, réclamée par la convention citoyenne pour le climat. Mais il repousse, depuis déjà plus d’un an, le vote du Sénat, dans l’attente d’une « évaluation des effets de l’accord », dont personne ne sait réellement ce qu’elle recouvre. L’enjeu est de taille : en cas de rejet par les sénateurs, la ratification pourrait échouer et l’accord être définitivement enterré.

CETA : un bilan commercial « positif »

Après trois ans d’application provisoire, le bilan du CETA « est positif pour la France et pour l’UE », assure-t-on au ministère des affaires étrangères, qui chapeaute le commerce extérieur. Paris se félicite d’une amélioration du solde commercial de la France par rapport au Canada, qui a dépassé les 600 millions d’euros en 2019, grâce à une progression de 11 % des exportations vers le pays de l’érable.

Si le commerce de fromage français, souvent mis en avant comme l’un des grands gagnants de l’accord, a bien progressé de 30 % en 2019, il n’apporte toujours qu’une contribution modeste (57 millions d’euros) au commerce franco-canadien, au regard de l’automobile (374 millions d’euros) ou des produits pharmaceutiques (234 millions d’euros).

L’excédent commercial de la France s’améliore depuis le CETA

Echanges commerciaux annuels entre la France et le Canada. L’excédent commercial de 2019 (647 millions d'euros) est supérieur à 2015, meilleure année avant l’entrée en vigueur du CETA (480 millions).

Source : Douanes
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