Après plus de trois ans à négocier pour tenter de moderniser le traité sur la charte de l’énergie (TCE) – cet accord international, en vigueur depuis 1998, protège les investisseurs des changements de politique énergétique des Etats –, les Européens ont décidé de tout arrêter. Pour l’instant du moins.
La Commission, qui négocie au nom des Vingt-Sept, avait pourtant donné son accord de principe, le 24 juin, à un projet de réforme qu’elle avait longuement négocié avec les autres Etats participant au TCE. Dans la foulée, il était prévu que les 53 signataires du texte – l’Union européenne (UE) et ses Etats membres (à l’exception de l’Italie), mais aussi le Japon, la Turquie, l’Ukraine, la Géorgie ou le Kazakhstan – votent formellement le 22 novembre, un scrutin pour lequel l’unanimité est requise.
« Les Etats membres n’ont pas été capables de s’entendre sur la modernisation du TCE, nous allons donc demander mardi à ce que ce point soit retiré de la réunion » , expliquait, lundi 21 novembre, une porte-parole de la Commission. Vendredi 18 novembre, la France, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Allemagne ont refusé de donner à l’exécutif communautaire le mandat qui lui aurait permis de voter mardi. « C’est un camouflet politique pour la Commission, juge Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement européen. Elle n’a pas compris que l’opposition à la réforme du TCE était forte. »
Incompatible avec le rythme de décarbonation voulu
Du point de vue européen, le TCE, imaginé après l’effondrement de l’empire soviétique et la guerre du Golfe, avait pour objectif de sécuriser l’approvisionnement énergétique du Vieux Continent. Il permet aux investisseurs dans ce secteur de demander, devant un tribunal arbitral privé, des dédommagements à un Etat qui réorienterait sa politique énergétique et affecterait ainsi la rentabilité de leurs placements.
Aujourd’hui, il constitue un frein aux ambitions des pays qui veulent lutter contre le réchauffement climatique et n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation de l’économie qu’exige l’accord de Paris, comme l’a jugé, en France, le Haut Conseil pour le climat le 19 octobre. Les acteurs de l’énergie fossile peuvent en effet y avoir recours dès que leurs intérêts sont mis à mal par une nouvelle loi. Ainsi, après la décision de La Haye de bannir le charbon d’ici à 2030, l’énergéticien allemand RWE lui a réclamé 1,4 milliard d’euros pour compenser ses pertes sur une centrale thermique.
Les défenseurs du TCE arguent que le traité concerne également le secteur des renouvelables. D’ailleurs, le 2 septembre, la France s’est vu poursuivre par l’entreprise allemande Encavis, producteur d’énergie renouvelable, et trois de ses filiales, après avoir révisé à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque en 2020. Ses détracteurs rétorquent qu’il a surtout pour conséquence d’altérer la souveraineté des pays signataires du TCE en matière de politique énergétique. « C’est un traité qui permet à des investisseurs dans des Etats de droit de s’exonérer du droit commun », tranche Pascal Canfin.
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