C’est un accord international dont peu de gens, en dehors des spécialistes des questions énergétiques, ont entendu parler. Entré en vigueur en 1998, le traité sur la charte de l’énergie (TCE), – qui compte aujourd’hui 53 signataires, dont l’Union européenne, mais aussi tous ses pays membres (à l’exception de l’Italie), ainsi que le Japon, la Turquie, l’Ukraine, la Géorgie ou le Kazakhstan – constitue, en l’état, un sérieux frein aux ambitions climatiques des Vingt-Sept.
Depuis quelques mois, les ONG et les parlementaires européens alertent sur son incomptabilité avec le « pacte vert » qui doit permettre aux Européens d’atteindre l’objectif de neutralité carbone qu’ils se sont fixé pour 2050. Dernière initiative en date, mardi 8 décembre, une lettre ouverte de personnalités engagées dans la lutte contre le changement climatique – parmi lesquelles la directrice de la Fondation européenne pour le climat, Laurence Tubiana, les économistes Thomas Piketty, Gaël Giraud et Tim Jackson, ou l’envoyée spéciale de la Banque mondiale pour le changement climatique, Rachel Kyte – qui demande aux signataires du TCE de s’en retirer.
A l’approche du Conseil des 10 et 11 décembre, au cours duquel les chefs d’Etat et de gouvernement européens vont tenter de se mettre d’accord pour réduire d’au moins 55 % leurs émissions de CO2 d’ici à 2030, la question est légitime. D’autant que les négociations en cours depuis novembre 2019 pour la « modernisation » du TCE patinent.
« L’assurance vie des énergies fossiles »
Autres temps, autres mœurs. Au début des années 1990, sur fond de guerre du Golfe et d’effondrement de l’empire soviétique, l’Europe s’inquiète pour son approvisionnement énergétique et imagine, afin de le sécuriser, un grand accord international qui protégerait les investisseurs dans ce secteur, qu’il s’agisse des énergies fossiles ou renouvelables. Dans ce contexte, le TCE leur permet de demander, devant un tribunal arbitral, des dédommagements à un Etat qui réorienterait sa politique énergétique et affecterait ainsi la rentabilité de leurs placements. A l’heure où de plus en plus d’Etats veulent lutter contre le réchauffement climatique, le TCE, « c’est l’assurance vie des énergies fossiles », juge l’eurodéputée (Gauche unitaire européenne) Manon Aubry.
Même si on ne connaît pas tous les contentieux – le TCE n’oblige pas les Etats à les rendre publics –, on sait qu’« à ce jour, la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement a recensé 135 cas de litiges sous le TCE et que le montant des compensations accordées s’élève à 55 milliards d’euros », développe l’experte des politiques énergétiques et du TCE, Yamina Saheb.
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