Les Accords Internationaux d’Investissement (AII) actuels et le mécanisme de Règlement des Différends entre Investisseurs et États (RDIE) représentent un obstacle majeur à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique, ainsi qu’à l’adoption de politiques sociales et environnementales ambitieuses.
À cet égard, le retrait de l’UE du Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE), annoncé le 26 juin 2024 - et qui devrait prendre effet le 26 juin 2025 - représente une avancée majeure (mais les investissements réalisés avant la sortie effective resteront protégés pendant 20 ans, en raison d’une clause de survie).
En tout état de cause, aligner les accords d’investissements avec les engagements internationaux de l’UE en matière d’environnement, de climat et de droits humain va au-delà de la question du TCE. L’UE doit cesser de promouvoir des traités d’investissement (ou des chapitres relatifs aux investissements dans les accords commerciaux) qui présentent les mêmes lacunes que le TCE et qui contredisent ses engagements internationaux en matière d’environnement et de droits humains (comme c’est le cas du CETA, des accords modernisés avec le Chili et le Mexique, ainsi que des accords de protection des investissements avec le Vietnam et Singapour).
Cette note rédigée par l’Institut Veblen et le CNCD 11.11.11 examine la comptabilité de la position de la Commission concernant la protection des investissements avec celle du Parlement européen consacrée dans sa résolution sur l’avenir de la politique de l’Union en matière d’investissements internationaux adoptée en juin 2022. La résolution du Parlement exhorte la Commission et les États membres à garantir la cohérence entre les AII et le Pacte vert pour l’Europe, les objectifs de développement durable et les droits humains.
À cet égard, les "clauses modèles de la CE pour la négociation des TBI entre les États membres de l’UE et les pays tiers" publiées en septembre 2023 sont loin d’être conformes à la résolution du Parlement européen. Ces clauses modèles reposent largement sur une logique de forte protection des investissements. Elles s’alignent sur les pratiques des traités de « nouvelle génération » qui ont déjà montré leurs limites en matière de préservation de la marge réglementaire, en particulier pour les États souhaitant promouvoir la transition énergétique ou mettre en œuvre des politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
1/ Les clauses modèles de la Commission ne prévoient aucune limitation quant au champ des investissements couverts. En particulier, alors qu’une exclusion sectorielle - pour les combustibles fossiles ou même les industries énergétiques et extractives - et qu’une exception climatique sont en discussion, notamment à l’OCDE, il n’y a aucune trace de telles approches dans la position de la Commission. Il en résulte que, si les clauses modèles venaient à se refléter dans la pratique conventionnelle future (au niveau des États membres et de l’UE), les investissements dans les industries à forte intensité d’émissions, y compris les combustibles fossiles, continueraient à bénéficier d’une protection étendue par traité.
2/ Les clauses modèles contiennent des améliorations bienvenues en matière de traitement de la nation la plus favorisée, mais les précisions apportées aux principales normes de protection des investissements sont calquées sur les traités d’investissement récents de l’UE. Par exemple :
- La norme de traitement juste et équitable (TJE) est expressément limitée à la protection contre le déni de justice, les violations fondamentales des droits de la défense, l’arbitraire manifeste, la discrimination ciblée sur des motifs manifestement infondés, et le traitement abusif. Ces précisions peuvent ne pas suffire à empêcher les tribunaux arbitraux d’adopter des interprétations imprévues et trop larges, comme l’illustre la décision Eco Oro.
- L’expropriation indirecte est définie et accompagnée de plusieurs précisions, mais l’étendue des actifs, parmi ceux énumérés dans la définition de « l’investissement » dans le traité, pouvant être expropriés n’est pas davantage spécifiée. Ici, cela s’applique largement à tous les « investissements couverts ».
- Les clauses modèles incluent une clause dite « parapluie » qui renforce encore la protection des investisseurs.
3/ L’absence de dispositions en matière de « RSE ». Les clauses modèles incluent des dispositions spécifiques sur le changement climatique, l’environnement et le travail, mais ne contiennent aucune disposition spécifiquement destinée à encadrer la conduite des investisseurs.
4/ Les clauses modèles ne contiennent aucune spécification pour guider l’évaluation par les tribunaux arbitraux du montant de l’indemnisation en cas de violation du traité. Elles se réfèrent uniquement à la norme classique de « juste valeur marchande » pour l’expropriation. Les options de réforme comprennent notamment :
- l’introduction de règles d’équilibre pour l’indemnisation, déterminées selon divers facteurs contextuels, plutôt qu’uniquement sur la base de la juste valeur marchande de l’investissement ;
- la limitation des dommages au montant effectivement investi par l’investisseur ;
- le fait d’exiger des tribunaux qu’ils déterminent le montant de l’indemnisation conformément au droit national ou d’une manière cohérente avec d’autres juridictions internationales (par exemple la CEDH) ;
- la question des demandes abusives en rendant l’investisseur responsable d’une partie de la différence entre le montant demandé et le montant accordé dans certaines circonstances, ou en empêchant l’utilisation inappropriée de certaines méthodes de calcul pour évaluer les investissements en phase de démarrage.
5/ Les clauses modèles suggèrent l’inclusion d’une clause de survie sans précision quant à la durée recommandée de la période de survie. Au minimum, les clauses modèles auraient pu recommander une courte période, comparée aux traités qui figent la protection des investisseurs pour 10, 15, 20, voire 25 ans après le retrait."