Chronique publiée dans Alterecoplus, le 10/12/2015
Un document interne de la Commission européenne rendu public par des organisations de la société civile révèle les instructions données par Bruxelles à ses négociateurs de refuser que le futur accord climatique puisse imposer des limites au commerce. Il s’agit d’une note présentée par la DG Clima au Comité de la politique commerciale du Conseil, le 20 novembre dernier en amont du sommet de Paris de la COP21.
La politique commerciale développée par l’Union européenne et ses partenaires pose pourtant un certains nombre de défis de nature à aggraver le changement climatique. L’objectif même des accords commerciaux d’augmentation de la production et des échanges internationaux est propre à générer mécaniquement une hausse des émissions de CO2. Et la nature des biens et services échangés et leur impact sur le climat ne sont pas questionnés. Ainsi dans le projet d’accord transatlantique (TTIP), le premier secteur qui pourrait bénéficier de l’accord serait celui de la construction automobile. Par ailleurs le TTIP et l’accord avec le Canada visent aussi à faciliter l’importation par l’UE de gaz de schiste et de sables bitumineux, sans égard pour les conséquences environnementales de ces deux ressources fossiles particulièrement nocives et laissant craindre une augmentation de leur exploitation.
En marge des négociations commerciales, plusieurs mesures européennes ont déjà été profondément modifiées sous la pression américaine et canadienne. La directive européenne sur la qualité des carburants qui visait à réduire les émissions liées au transport et projetait de pénaliser les sables bitumineux, beaucoup plus polluants en a notamment fait les frais. Mais ce n’est pas tout, les multinationales des secteurs aérien, automobile et extractif ont identifié toute une série de régulations environnementales présentées comme des « barrières au commerce » qu’elles souhaiteraient pouvoir démanteler via ces négociations.
L’annexe sur les services énergétiques de l’accord sur le commerce des services en cours de négociation entre une cinquantaine d’États, publiée par Wikileaks, prévoit quant à elle, d’obliger les gouvernements à accepter le principe de « neutralité technologique ». Si cette idée était adoptée, elle remettrait gravement en cause toutes les initiatives de transition écologique visant à désinvestir des énergies fossiles et réorienter les subventions publiques vers les énergies renouvelables.
Consciente que ces problèmes pourraient être abordés dans le cadre des négociations climatiques avec des mesures à la clé pour y remédier, la Commission demande à ses négociateurs de réduire au maximum toutes les discussions liées au commerce et de refuser toute mention explicite du commerce dans les décisions de la COP. Pour l’instant la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) indique seulement que les mesures de lutte contre le changement climatique, y compris les mesures nationales, ne doivent pas servir de mesures déguisées pour restreindre le libre échange. Les organisations de la société civile demandent d’inverser désormais la logique pour s’assurer que les actions menées dans le but de préserver le climat s’imposent en cas de conflit avec les objectifs de promotion du commerce.
C’est niet pour Bruxelles qui demande à ses négociateurs de s’opposer à « toutes nouvelle disposition qui irait au-delà » de l’existant et poseraient des restrictions au commerce dans le cadre des politiques environnementales, comme à « la création de liens formels entre la CCNUCC et l’OMC » ou « le lancement d’un programme de travail sur les mesures commerciales ».
Ces instructions vont aussi à l’encontre de la résolution adoptée par le parlement européen le 14 octobre dernier dans laquelle il demandait que l’ensemble des mesures adoptées à Paris soient exclues explicitement du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Le message des eurodéputés est clair. Il serait illusoire de vouloir sauver le climat tant que les politiques publiques nécessaires peuvent être contestées dans le cadre des accords de commerce par des investisseurs étrangers au motif qu’elles portent atteinte à leurs profits futurs.