Venez nombreux à la soirée débat « Peut-on miser sur le 100% renouvelables ? », le 21 mars à l’Ecole normale supérieure à Paris !
Vous pouvez aussi lire l’article d’Antoine de Ravignan sur l’avenir du nucléaire.
Le débat sur le mix énergétique de demain est dominé en France par la question du nucléaire ; c’est sans doute inévitable vu l’histoire et le poids politique des acteurs de la filière. Mais l’essentiel est de ne plus perdre de temps dans le déploiement massif et rapide des énergies renouvelables. Car il en faudra beaucoup, quel que soit le scénario de transition, alors que nous avons pris énormément de retard sur nos voisins européens.
Il y va de l’avenir de l’industrie française, dont la compétitivité dépendra dans les toutes prochaines années de l’accès à l’énergie décarbonée. Comme l’explique Cédric Philibert dans ce numéro, cette offre d’énergie ne pourra venir que de sources renouvelables, car les nouvelles centrales nucléaires, à supposer qu’elles sortent de terre un jour, arriveront trop tard pour nous aider à parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais il y va plus généralement de la décarbonation rapide de l’ensemble de l’économie, à commencer par les transports. Faciliter ce déploiement massif est une tâche pour tous les échelons de l’action publique, de l’Union européenne (UE) jusqu’aux collectivités locales, en passant par l’Etat.
Au niveau européen, Patrick Criqui et Manfred Hafner rappellent que la France doit arrêter ses choix alors que l’Europe de l’énergie est bousculée par les événements géopolitiques, la guerre et l’affrontement des grandes puissances mondiales. Dans ce contexte, le rôle de l’UE ne peut se résumer à l’organisation du marché et à l’adoption d’objectifs communs ; la transition énergétique exige une planification et une coopération renforcée, et l’UE a déjà pris de nombreuses initiatives dans ce sens. Encore faut-il que les Etats qui la composent surmontent leurs divergences et la tentation du « chacun pour soi ».
Emmanuel Hache complète ce tableau par une présentation géopolitique des matières premières : l’abandon des énergies fossiles implique une électrification massive des usages – dans les transports, dans l’industrie, etc. – et accentue les tensions autour de l’approvisionnement en métaux et en terres rares. Là aussi, les vraies réponses sont à trouver au niveau européen : l’Europe doit apprendre à maîtriser ses approvisionnements tout en proposant aux pays producteurs, qui sont souvent des pays pauvres, des accords qui leur ouvrent des perspectives de développement.
Ne pas écarter l’option « 100 % renouvelable »
A l’échelle locale, de nombreuses initiatives participent déjà de la transition énergétique. Dans ce numéro, nous en avons retenu deux : les politiques de la sobriété et les nouvelles formes de production de l’énergie. Barbara Nicoloso rappelle ainsi que la transition ne se résume pas au mix énergétique, il faut en parallèle réduire la consommation. Cette sobriété énergétique concerne nos modes de vie et doit s’organiser collectivement. De son côté, Gilles Debizet présente comment l’échelle locale permet d’organiser autrement la production et la consommation de l’énergie, à l’instar des « communautés énergétiques » qui émergent depuis quelques années en France et en Europe. Ces initiatives locales et citoyennes inventent des nouvelles conventions marchandes, très éloignées de la logique du marché, et montrent en creux comment la transition énergétique pourrait rendre possibles d’autres modèles économiques.
Reste à trancher la place du nucléaire dans le mix énergétique. La décision de construire de nouvelles centrales engage plusieurs générations de Français, et mériterait pour le moins un grand débat national. Ce numéro de l’Economie politique invite à ne pas écarter un scénario « 100 % renouvelable », où le parc nucléaire ancien serait utilisé tant que les conditions de sûreté le permettent, mais ne serait plus développé.
Cette option est défendue notamment par Philippe Quirion et Antoine de Ravignan. Les deux auteurs affirment que le calcul économique en faveur du nucléaire est souvent fondé sur des hypothèses douteuses. Philippe Quirion réfute au passage plusieurs critiques souvent adressées aux énergies renouvelables, à commencer par la faisabilité technique de leur stockage et leurs impacts environnementaux. Antoine de Ravignan examine pour sa part les promesses des « technologies du futur » en matière de nucléaire, qui viendraient révolutionner l’ensemble de la filière et sauver sa rentabilité. L’auteur les passe en revue une à une et arrive au constat que, dans le meilleur des cas, ces technologies pourront être déployées dans la seconde moitié du XXIe siècle.
Il faut reconnaître que ces arguments peinent à percer dans le débat politique. Ils ont beau pointer les difficultés économiques et les maigres perspectives internationales du nucléaire civil ou mettre en garde contre le gouffre financier annoncé, déjà visible avec les EPR. Ils ont beau inviter à une lecture plus attentive des travaux de l’Ademe ou de RTE, dont il ressort clairement que l’on peut assurer la sécurité énergétique et décarboner notre économie avec ou sans nucléaire. Ils ont beau montrer que les solutions alternatives existent pour résoudre le problème de la « variabilité » des énergies renouvelables, si souvent évoqué et instrumentalisé dans le débat.
Il y a donc fort à parier que l’option de la relance nucléaire s’imposera cette année dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie et la future loi Energie-Climat. La véritable épreuve, celle du réel, ne viendra qu’ensuite, lorsque les sites de construction devront être vidés des occupants et des opposants locaux, que les premiers retards sur les chantiers seront annoncés et les estimations financières revues à la hausse, que les consommateurs découvriront le surcoût par rapport aux alternatives renouvelables produites de plus en plus massivement par nos voisins européens.
L’Economie politique, un lieu de réflexion collective sur les défis de demain
Ce numéro est le deuxième à être réalisé conjointement par Alternatives Economiques et l’Institut Veblen, et Wojtek Kalinowski reprend le flambeau tenu précédemment par Sandra Moatti, en tant que rédacteur en chef de L’Economie politique. La revue trimestrielle poursuivra sa mission comme elle le fait depuis vingt-cinq ans, lorsque Christian Chavagneux a eu la bonne idée de la créer en complément au magazine mensuel. Elle continuera d’offrir un lieu de réflexion prospective à celles et ceux qui œuvrent pour une économie plus juste socialement et plus soutenable. Faire de l’économie politique, c’est élargir le champ du possible là où d’autres le rétrécissent ; c’est faire vivre le débat sur les réponses à apporter aux multiples crises sociales et écologiques qui frappent nos sociétés ; c’est diffuser un autre regard sur l’économie à tous les niveaux de la société.