Le « Fonds Perte et Dommage » ne suffira pas
Plus la Cop28 approche, plus les blocages politiques semblent profonds sur les deux sujets au cœur des négociations, à savoir le financement de la transition et la sortie des énergies fossiles. Les négociations doivent notamment aboutir à un accord sur les modalités du nouveau Fonds Perte et Dommage (Loss and Damage Fund, LDF) décidé par la Cop27. L’aide apportée dans ce cadre doit cibler les pays en développement et être additionnelle à l’objectif de 100 Mds annuels d’aide décidé par la Cop15 (objectif toujours pas atteint). Or quelle que soit l’issue des négociations, les sommes mobilisées ne suffiront pas : la nouvelle édition du rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, consacré au « Déficit d’investissement dans l’adaptation », rappelle l’écart entre les besoins financiers et les réalités : pour de nombreux pays en développement notamment, les besoins de fonds publics dépassent jusqu’à 18 fois les sommes disponibles. Pis encore, les flux financiers publics destinés à l’adaptation climatique dans ces pays ont baissé ces dernières années au lieu de croître.
En 2022, les événements climatiques et météorologiques majeurs dans les pays en développement ont causé des pertes estimées à plus de 109 Mds de dollars, mais ce chiffre ne tient pas compte de nombreux événements moins spectaculaires et pourtant très dommageables pour l’économie de ces pays ; en les incluant, les besoins financiers s’élèvent plutôt à quelques 400 Mds de dollars par an d’ici 2030. [1] L’écart entre les deux estimations illustre une tendance générale à sous-estimer les besoins de financement dans la transition bas carbone, à la fois dans l’atténuation et l’adaptation. [2]
Au vu des sommes en jeu et de la faiblesse des engagements pris jusqu’ici par les États, d’autres sources de financement du « Fonds Perte et Dommage » semblent nécessaires, par exemple via la taxation des industries fossiles ou du fret maritime. Concernant l’usage des fonds, une définition large des “pertes et dommages” doit permettre au LDF d’intervenir au-delà de l’aide d’urgence apportée en cas de catastrophes naturelles. Mais nous avons surtout besoin d’aller au-delà du cadre des négociations actuelles et de soutenir des initiatives plus ambitieuses qui profitent du forum onusien pour se faire entendre.
L’importance des initiatives parallèles
Or, la Cop28, c’est aussi l’occasion de promouvoir de nombreuses initiatives politiques parallèles émanant de certains Etats, comme la “Bridgetown Initative”, de la Coalition of Finance Ministers for Climate Action (CFMCA) ou encore de la Coalition of Trade Ministers on Climate. Concernant les coalitions des ministres des Finances et du commerce sur le climat, les ministres sont appelés à jouer un rôle clef dans la coordination de l’action climatique et de la transition écologique dans leur pays respectifs, mais doivent aussi faire avancer le débat à l’échelle internationale. C’est dans ce cadre que la France et les autres pays européens pourraient porter des propositions visant à combler le manque d’investissements dans la transition écologique.
Nous nous limitons ici à trois volets essentiels : réorientation des fonds privés, mobilisation accrue des fonds publics, et aide destinée aux pays les plus vulnérables.
1/ Des instruments nouveaux pour réorienter des fonds privés
La part des investissements rentables dans la transition peut aisément reposer sur des financements privés. Mais ces derniers sont encore mal orientés, loin d’être sur une trajectoire compatible avec les objectifs de neutralité carbone. La réorientation nécessaire concerne en grande partie les flux de financement bancaires. Les propositions suivantes aideraient à faire évoluer le profil rentabilité-risque dans un sens favorable :
– Des taux de refinancement variables, visant à soutenir les crédits favorables à la transition écologique et à dissuader les financements nuisibles : les banques actives dans le financement de projets favorables ou compatibles avec la transition se refinanceraient auprès de leur banque centrale à un taux plus faible. Une impulsion internationale venant de la COP28 serait de nature à coordonner les actions des banques centrales en faveur du climat.
– Promouvoir de nouveaux Accords de Bâle sur la transition écologique afin d’instaurer un coussin de fonds propres climatiques et de programmer une décarbonation des bilans bancaires. C’est au Comité de Bâle qu’il revient d’impulser un verdissement du cadre réglementaire des banques.
2/ Une mobilisation accrue des fonds publics
Les investissements indispensables à la transition ne s(er)ont pas tous rentables. La part indispensable non rentable nécessite d’accroître la disponibilité des fonds publics. Différents leviers sont à combiner :
– Mise en place de taxes sur le prélèvement des ressources minérales pour réduire le prélèvement, favoriser le recyclage des ressources et accroître les recettes publiques (en les affectant au financement de la transition écologique et à l’aide aux pays pauvres).
– Réallocation des subventions publiques : programmer la suppression des subventions fossiles et redéployer cette capacité vers des investissements climat.
– Promouvoir la suppression des subventions fossiles dans le cadre des discussions sur le verdissement des règles commerciales internationales (notamment dans le cadre des négociations bilatérales et multilatérales).
– Fin de la protection des investissements fossiles(dans l’ensemble des accords internationaux d’investissement ou des accords de commerce contenant un volet de protection des investissement, existants ou en cours de négociation) : dans la suite du retrait du Traité sur la Charte de l’Énergie, la France pourrait s’engager à revisiter l’ensemble de ses traités bilatéraux d’investissement (TBI) pour exclure l’énergie et les activités minières du champ des activités couvertes et porter activement cette proposition au niveau international (au niveau de l’UE, dans les discussions en cours à l’OCDE et dans la coalition of Trade Ministers on Climate).
– Mobilisation des banques publiques d’investissement, soutenues par les banques centralespour porter entre autres des programmes de rénovation des bâtiments publics.
– Mise en place de sociétés financières publiques à mission, subventionnées par les banques centrales pour elles-mêmes subventionner des investissements / dépenses d’adaptation et de transformation écologique.
3/ Aide aux pays les plus vulnérables
Vu la difficulté de tenir l’engagement des 100 milliards de flux financiers privés et publics annuels pris par la Cop15, d’autres mesures semblent nécessaires pour augmenter rapidement les volumes de financement à destination des pays les plus vulnérables :
– Renforcer la capacité de financement du fonds RST (Resilience and Sustainability Trust), en l’abondant avec des droits de tirage spéciaux (DTS) des pays riches qui ne s’en servent pas.
– Procéder à une nouvelle allocation générale de DTS, dans le même but.
– Orienter les fonds RST vers l’action climatique, mais sans autres formes de conditionnalité.
– Augmenter les recettes fiscales propres des pays en développement, via une taxe mondiale sur les énergies fossiles (déclaration de Naïrobi)
– Permettre des annulations de dettes conditionnelles à l’action climatique.