La croissance non économique
Par Peter Victor
1er octobre 2012
L’idée que l’économie ne puisse pas continuer à croître indéfiniment – ou que la croissance ne puisse durer plus que quelques générations – est une idée aussi vieille que la science économique. Les économistes classiques – Smith, Ricardo et bien sûr Malthus – ont chacun expliqué pourquoi ils pensaient qu’un jour la population humaine finirait par dépasser la capacité de la nature à fournir bien plus que la seule subsistance. Mais l’ère de croissance économique sans précédent qui s’ouvrit au début du XIXe siècle relégua ces réserves au second plan. Si la plupart des doutes quant à la longévité de la croissance furent dissipés, ils ne disparurent pas totalement pour autant.
Ces préoccupations refirent surface au milieu du XXe siècle dans les écrits d’économistes comme Boulding, Mishan, Georgescu-Roegen et Daly. Plus précisément, l’idée qu’il pourrait y avoir des limites à la croissance a fait son entrée dans le débat public en 1972 avec le livre Halte à la croissance ? rédigé par Meadows et une équipe de chercheurs.
En 2008, grâce à 30 ans de données collectées, le chercheur Graham Turner est parvenu à montrer que parmi tous les scénarios examinés dans ce petit livre (dont l’influence fut grande), celui qui correspondait le mieux aux données était celui du « business as usual » aussi appelé « trajectoire standard ». Dans ce scénario, qui ne suppose aucun changement majeur dans les relations physiques, économiques ou sociales, la croissance économique s’interrompt brutalement au milieu du XXIe siècle.
Par ailleurs, l’idée selon laquelle une croissance économique infinie peut être tout aussi bien indésirable qu’irréalisable n’est pas nouvelle non plus. Elle s’inscrit dans une longue lignée de réflexions qui débuta, il y a au moins 160 ans, avec la contribution de John Stuart Mill sur l’état stationnaire. Mill expliquait que pour tout un ensemble de raisons sociales, économiques, environnementales et spirituelles, il espérait que « pour le bien de la postérité... [les êtres humains] se contenteront d’un état stationnaire, bien avant que la nécessité ne les y oblige ». Malgré l’influence que son livre [Principes d’économie Politiques, 1873] eut sur le développement de la science économique le chapitre, d’où fut tirée cette citation, fut largement ignoré pendant plus d’un siècle. Herman Daly, sans doute l’un des économistes les plus prolifiques et perspicaces de ces 40 dernières années à avoir écrit sur la fin de la croissance économique, s’est appuyé en grande partie sur le travail de Mill lorsqu’il a forgé le terme de « croissance non économique » : la croissance qui, au-delà d’un certain seuil, cause plus de mal que de bien.