Lancée par la Banque centrale européenne (BCE) en janvier 2020, la révision stratégique est arrivé à son terme le 8 juillet dernier, avec la publication des décisions du Conseil des gouverneurs. Que penser du résultat final, et que peut-on en espérer pour répondre aux grands défis auxquels est confrontée l’Europe, à commencer par la transition écologique et la lutte contre le changement climatique ?
L’Institut Veblen intervient régulièrement dans le débat sur le rôle des politiques monétaires et des banques centrales dans la transition écologique et sociale ; en décembre dernier nous avons publié un dossier proposant à la fois un diagnostic des actions des banques centrales sur ce plan et nos propositions pour aller plus loin.
Nous avons également passé au crible les options de politique monétaire retenues par le NGFS, le réseau mondial des banques centrales et des superviseurs financiers. Les annonces de la BCE s’inscrivent dans les options analysées par les NGFS ; dans les deux cas, le résultat est plutôt décevant du point de vue de l’action climatique.
La surprise réside davantage dans la date avancée que dans le contenu de la nouvelle stratégie de politique monétaire communiquée par la Banque centrale européenne (BCE). L’objectif demeure la stabilité des prix et, les instruments, ceux d’aujourd’hui. Certes, le tableau de bord verdit et la BCE promet de mieux expliquer son action au grand public, avec des cartoons au demeurant très bien réalisés. Pas de quoi conclure à une révolution.
Revoir le debrief Veblen : la révision stratégique de la BCE : quels résultats ?
Avec Jézabel Couppey-Soubeyran (Institut Veblen/Univ. Paris 1), Christophe Blot (OFCE) et Wojtek Kalinowski (Institut Veblen)
L’objectif de cible d’inflation
Dans sa déclaration du 8 juillet dernier, la BCE reconnaît assez clairement que l’environnement dans lequel elle agit a profondément changé depuis sa dernière évaluation stratégique en 2003. Ses marges de manœuvre, pour atteindre son objectif de stabilité des prix, sont devenues étroites. Ça ne l’amène pas pour autant à de grands changements : elle décide d’ajuster un peu sa cible. Auparavant, elle interprétait l’objectif inscrit dans le traité qui définit son mandat, comme une cible d’inflation « inférieure à mais proche de 2% ». Ce sera désormais « 2% », en insistant sur l’horizon de moyen terme, en précisant que « les écarts positifs ou négatifs par rapport à l’objectif sont également indésirables », mais en se donnant par la même la possibilité de s’écarter de sa cible à la hausse ou à la baisse, sans qu’on s’en inquiète.
Elle s’attend à souvent buter sur le plancher en dessous duquel il lui est très difficile d’abaisser ses taux directeurs, ce qui signifie que ce levier lui offrira très peu de marge pour influencer le prix et le quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Elle y voit toujours cependant « le principal instrument de sa politique monétaire ». Mais elle justifie ainsi le fait de continuer à utiliser les mesures auxquelles elle a eu recours face à la crise financière hier, sanitaire aujourd’hui, à savoir le « guidage prospectif des anticipations » (forward guidance), le refinancement des banques à des conditions très accommodantes (LTRO) et les achats d’actifs. On savait déjà que ces mesures « non conventionnelles » ne seraient pas abandonnées de si tôt, il est désormais acté qu’elles rejoignent la boîte à outils conventionnels de la banque centrale.
La BCE ne peut pas ignorer l’incidence de ces mesures pour la stabilité du système financier mais n’aborde pas la question de front. Elle dit cependant surveiller les risques macrofinanciers, et déclare même que la « stabilité financière est une condition préalable à la stabilité des prix ». Une façon de signaler qu’elle saura repérer les tensions financières à temps ?
L’indice de prix et le coût du logement
La BCE n’ignore pas non plus les remises en question de sa mesure de l’inflation. Elle propose de la rendre plus pertinente en y incluant les coûts des logements occupés par leurs propriétaires. Ces coûts seront approximés par des loyers imputés (l’équivalent du loyer que paierait le propriétaire du logement s’il en était le locataire). C’est une façon très indirecte de faire entrer l’évolution des prix immobiliers dans la mesure de l’inflation et c’est, de toute façon, peine perdue en ce qui concerne la zone euro, où les prix de l’immobilier ne suivent pas le même cycle d’un pays à l’autre. L’évolution moyenne de la zone ne dira pratiquement rien de la situation de chaque pays.
L’action climatique
Sur le plan climatique enfin, la BCE veut d’abord renforcer le reporting extra-financier pour mieux connaître l’impact environnemental des actifs financiers. Ensuite, elle promet d’en tenir compte pour désigner les titres privés, qu’elle achète et ceux qu’elle accepte en garantie de ses prêts aux banques. Si les mesures précises restent à définir, le principe à l’œuvre est de rendre les actifs « bruns » progressivement moins attractifs pour les banques et d’en acheter moins. L’idée peut paraître banale mais pour les banquiers centraux c’est déjà une révolution : intervenir activement sur les marchés pour orienter les flux de financement vers les objectifs souhaitables est contraire à la doctrine de « neutralité de marché », en vigueur dans toutes les banques centrales occidentales depuis les années 1980.
Saluons donc ce changement de doctrine qui s’annonce mais quel impact ces mesures auront-elles ? Agir via les programmes d’achat actifs ou le refinancement revient à trier parmi les actifs déjà créés, alors qu’il faut influencer les choix futurs - on peut regretter entre autre l’absence des taux à long terme préférentiels pour les crédits fléchés sur la transition écologique. Ces mesures pourraient faire sens dans un ensemble plus vaste, or là elles viennent toutes seules comme si leur succès était assuré. En puis, leur mise en œuvre s’étale jusqu’en 2024…
On passe ainsi à côte de l’urgence climatique, qui met les banques centrales face à un double défi : aider à désinvestir des secteurs polluants d’une part ; renforcer rapidement les financements là où le sous-investissement domine, de l’autre. Sur le premier volet, un titre que la banque centrale n’acceptera plus sera en théorie considéré comme plus risqué, mais cela dissuadera-t-il les acteurs financiers attirés par les gains à court terme ? Sur le second, la transition écologique a besoin de financements publics massifs pour investir dans ce que les marchés privés ne financent pas, ou pas assez : transports collectifs, réaménagement urbain, conversion agricole… Sans oublier l’accompagnement social des secteurs et des territoires affectés, ni les mesures d’adaptation climatiques.
Au final, malgré un effort de communication considérable, la BCE semble toujours réticente à reconnaître le besoin d’agir en urgence contre la crise climatique, y compris sur le plan monétaire. C’est dommage, car l’éventail d’options à la disposition de la BCE était bien plus large, allant d’une communication axée sur un « quoi qu’il en coûte climatique » jusqu’à la monétisation des dépenses non rentables, en passant par des mesures contraignantes pour les banques et des conditions préférentielles pour les banques de développement publiques et d’autres financeurs publics.
Au final, ma révision stratégique représente une nouvelle étape mais il faudra sans doute aller plus loin pour tenir les objectifs climatiques et environnementaux de l’UE.