Dans le rapport du troisième groupe de travail, publié le 4 avril sur l’atténuation du changement climatique, le GIEC aborde pour la première fois la question de la politique de protection des investissements et son incompatibilité avec la mise en œuvre des engagements de Etats dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.
Dans le résumé à l’intention des décideurs, le GIEC souligne :
"Les règles commerciales ont le potentiel de stimuler l’adoption internationale de technologies et de politiques d’atténuation, mais peuvent également limiter la capacité des pays à adopter des politiques climatiques liées au commerce."
Et dans les chapitres 14 et 15 du rapport complet, le groupe de travail 3 livre cette analyse un petit peu plus détaillée :
"Les accords d’investissement, qui sont souvent intégrés aux ALE [accords de libre échange], cherchent à encourager le flux d’investissements étrangers par la protection des investissements. Si les accords internationaux d’investissement recèlent un potentiel d’augmentation des investissements à faible intensité de carbone dans les pays hôtes (PAGE 2018), ces accords ont eu tendance à protéger les droits des investisseurs, limitant la latitude des pays hôtes dans l’adoption de politiques environnementales (Miles 1 2019). De plus, les accords internationaux d’investissement peuvent entraîner une " frilosité réglementaire ", qui peut conduire les pays à s’abstenir ou à retarder l’adoption de politiques d’atténuation, telles que l’élimination progressive des combustibles fossiles (Tienhaara 2018).". (page 2433)
"Un grand nombre d’accords bilatéraux et multilatéraux, dont le Traité sur la Charte de l’énergie de 1994, comportent des dispositions relatives à l’utilisation d’un système de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS en anglais) conçu pour protéger les intérêts des investisseurs dans des projets énergétiques contre les politiques des États qui pourraient conduire à ce que leurs actifs deviennent des actifs dits échoués (stranded assests). De nombreux spécialistes ont souligné que l’ISDS pouvait être utilisé par les entreprises de combustibles fossiles pour bloquer les législations nationales visant à mettre fin à l’utilisation de leurs actifs (Bos et Gupta 2019 ; Tienhaara 2018)". (page 2442)
"Les accords récents d’élimination progressive [des technologies polluantes] tendent à viser une compensation (partielle ou totale) plutôt qu’une absence de compensation des pertes. Contrairement à l’argument retenu pour le cas de l’industrie du tabac, l’approche rétrospective et l’obligation de compensation des investisseurs dans les actifs polluants qui en découle sont rarement observées, supplantées par l’approche prospective et la compensation des perdants par les futurs gagnants - malgré le niveau élevé de sensibilisation aux externalités générées par les émissions carbone et les impacts sur le changement climatique qui en résulte parmi les pollueurs depuis de nombreuses années (van der Ploeg et Rezai 2020). En particulier, les transactions dans le secteur de l’énergie révèlent un niveau élevé de protection des investisseurs, y compris contre les mesures climatiques indispensables, ce qui est également bien illustré par la part des plaintes réglées en faveur des investisseurs étrangers dans le cadre du traité sur la Charte de l’énergie et du règlement des différends entre investisseurs et États. (Bos et Gupta 2019)". (p 2582)
La protection des investissements dans les énergies fossiles dans le cadre des accords de protection des investissements apparait en effet en contradiction directe avec la nécessaire sortie du charbon, du pétrole et du gaz. En témoignent les litiges devant des tribunaux privés, intentés par les entreprises énergétiques allemandes Uniper et RWE à l’encontre des Pays Bas, à travers le Traité de la Charte de l’Energie (TCE), en réponse à la loi programmant la sortie prochaine du charbon.
Le TCE est en particulier pointé du doigt car il est le traité ayant provoqué le plus de différends entre investisseurs et Etats à ce jour et il couvre spécifiquement les investissements dans le secteur de l’énergie. Il avait déjà fait l’objet d’un appel lancé par plus de 500 scientifiques et experts des questions climatiques en décembre 2020.
A quelques semaines de la date annoncée pour la fin des négociations, en juin 2022, les Etats parties au Traité de la Charte de l’Energie doivent entendre ce message fort des experts du GIEC.
Alors que les objectifs affichés par l’UE dans le cadre de ces négociations restent hors de portée, la meilleure façon de mettre fin à la protection des investissements fossiles est de sortir du traité le plus rapidement possible et de manière coordonnée avec l’ensemble des Etats qui partagent les mêmes préoccupations.