Quelques jours après le rejet par le Conseil de la proposition de la Commission de poursuivre la soi disant "modernisation" du traité sur la Charte de l’Energie (1) et le report de la discussion au niveau de la Conférence des Etats parties (2), le Parlement européen vient de sceller définitivement le sort de cet accord au niveau UE.
Dans une résolution adoptée par une large majorité, le Parlement européen a rejeté la "modernisation" du TCE en raison de son incompatibilité avec les engagements climatiques européens et demandé à la Commission européenne de proposer rapidement une sortie coordonnée de l’union européenne.
Après la sortie annoncée de sept Etats membres (Espagne, Pays-Bas, France, Allemagne, Pologne, Slovénie et Luxembourg), il apparait désormais clair que l’UE non seulement ne pourra pas ratifier la modernisation du TCE si celle-ci était entérinée mais qu’elle doit aussi sortir à son tour.
Il appartient dès lors aux Etats membres qui ont annoncé leur sortie de la concrétiser et de presser la Commission européenne pour qu’elle mette sur la table du Conseil au plus vite une proposition en faveur d’un retrait européen.
La Présidente de la Commission européenne n’a plus d’autre choix que d’acter l’échec de la modernisation du traité et d’enclencher un processus de sortie coordonnée. Ce retrait doit être accompagné d’un accord entre les Etats sortants pour neutraliser la clause de survie qui prévoit normalement que les investissements protégés à la date de la sortie le restent pendant 20 ans (4).
"Ce mouvement en faveur du retrait du TCE est historique. C’est le résultat d’une extraordinaire mobilisation à l’échelle européenne depuis de longs mois. Il s’agit de faire enfin primer l’urgence climatique sur les droits des investisseurs étrangers dans le secteur de l’énergie et cela ne doit pas s’arrêter au TCE, car il existe de nombreux autres accords de protection des investissements qui posent exactement les mêmes problèmes". déclare Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen.
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Notes
(1) La Commission européenne avait proposé au Conseil (i) d’être autorisée à participer à la Conférence des États parties au TCE du 22 et 23 novembre qui devait entériner la modernisation du TCE et (ii) de ne pas soulever d’objection à l’adoption formelle de l’accord de principe sur la modernisation du TCE annoncé le 24 juin dernier. Une telle position aurait donné un nouveau souffle au traité sur la charte de l’énergie, compromettant ainsi l’avenir du "Green Deal" européen dans le pays et à l’étranger. Mais au moins quatre Etats membres ont annoncé qu’ils s’abstiendraient en cas de vote (Espagne, France, Pays Bas et Allemagne), mettant ainsi en échec cette proposition.
Les aspects les plus problématiques du traité sur la Charte de l’énergie, à savoir son système de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) et notamment ses règles d’indemnisation très favorables aux investisseurs, restent inchangés. En outre, en vertu du nouveau TCE, les investissements relatifs aux combustibles fossiles resteraient protégés pendant au moins une décennie supplémentaire dans l’UE et au Royaume-Uni (et indéfiniment dans les autres parties contractantes), et encore plus longtemps pour certains investissement dans les usines à gaz et les pipelines. Cela signifie que les États resteront vulnérables à des actions comme celles lancées par les entreprises RWE et Uniper contre le plan néerlandais de sortie progressive du charbon.
(2) La Commission européenne a demandé un report de la discussion sur la modernisation lors de l’ouverture de la Conférence des Etats parties, le 22 novembre. Selon le compte-rendu diffusé par le secrétariat international du TCE, ce report devait permettre de convoquer une nouvelle conférence ad hoc d’ici avril 2023.
(3) Le Haut Conseil pour le Climat français a par exemple conclu "le TCE, y compris dans une forme modernisée, n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l’énergie et l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur à l’horizon 2030, comme rappelé par l’AIE et évalué par le GIEC. En particulier avant l’entrée en vigueur éventuelle de l’accord de modernisation, les délais de ratification nécessaires risquent de prolonger les dispositions actuelles du TCE et sa clause de survie bien au-delà de sa durée réduite à 10 ans par le nouveau mécanisme de flexibilité proposé. ".
Voir l’avis publié le 19 octobre 2022
(4) La plupart des risques juridiques liés à la clause de survie peuvent en effet être surmontés après le retrait dans la mesure où les États de l’UE peuvent convenir de la neutraliser entre eux - d’une manière qui serait pleinement conforme au droit international et au droit de l’UE. La Commission a déjà suggéré une approche similaire pour garantir que le TCE réformé soit conforme au droit communautaire. La principale différence serait que d’autres parties au TCE, comme le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse, pourraient se joindre à cette neutralisation de la clause de survie si elles décidaient de se retirer elles aussi, ce qui reste une possibilité.