En ce début d’année marqué par une mobilisation inédite de la jeunesse en faveur du climat, l’Union européenne s’assoira t-elle sur ses engagements climatiques pour préserver ses exportations de voitures vers les Etats-Unis ? Alors que se dessine le spectre d’un nouveau traité de commerce entre les deux côtés de l’Atlantique, la question agite le Parlement européen à moins de cent jours des élections.
Consensus climatique
Si la politique commerciale divise au plus haut point, une ligne rouge avait été tracée de façon quasiment unanime par différents décideurs européens : l’engagement à respecter l’accord de Paris sur le climat comme préalable pour tout nouvel accord de commerce.
Le secrétaire d’Etat français en charge des questions commerciales, Jean-Baptiste Lemoyne, avait pour la première fois explicité cette position française en février 2018, devant l’Assemblée nationale : « Pas d’accord de Paris, pas d’accord de libre-échange », précisant même que « Les Américains par exemple savent à quoi s’en tenir ».
[BREAKING] No #TTIP without respect of the Paris Agreement on #Climate. cf. Declaration of the French secretary of state @JBLemoyne in the Parliament @AssembleeNat this afternoon ! Do you agree @MalmstromEU ? https://t.co/dCAHYj5wCf … pic.twitter.com/JGi5XMWf7w
— Mathilde Dupré (@Mathilde_Dupre_) 1 février 2018
Dans la foulée, cet engagement avait été repris aussi à son compte par la commissaire européenne au Commerce, Cécilia Malmström, sur Twitter – quoique dans des termes un peu moins catégoriques – : « Oui, la référence à l’accord de Paris est nécessaire dans tous les accords de commerce aujourd’hui. »
Le Parlement européen avait à son tour invité la Commission « à faire de la ratification et de la mise en œuvre de l’accord de Paris une condition à respecter pour les futurs accords commerciaux » dans une résolution sur la diplomatie climatique, adoptée en juillet 2018.
Quant à Emmanuel Macron, il avait pris la parole aussi à plusieurs reprises pour marteler cet engagement, de l’Assemblée générale des Nations unies à la COP ou au Parlement européen. « Ne signons plus d’accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent pas l’accord de Paris », a-t-il ainsi déclaré à la tribune de l’ONU, le 24 septembre 2018.
Faute d’exiger la mise en œuvre effective de politiques efficaces pour limiter véritablement le réchauffement climatique à 2 degrés, voire 1,5 degré, cette ligne rouge avait au moins le mérite d’envoyer un signal fort à des chefs d’Etat comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro en leur signifiant qu’un retrait de l’accord de Paris ne resterait pas sans conséquences.
Une ligne rouge pas si rouge
Cependant, face aux gesticulations commerciales de Donald Trump, l’engagement de faire du respect de l’accord de Paris une ligne rouge pourrait passer par pertes et profits. Pour mettre un terme à l’escalade des tensions commerciales, l’Union européenne et les Etats-Unis avaient annoncé la reprise de négociations sur les biens industriels, à l’occasion de la visite de Jean-Claude Juncker à Donald Trump, en juillet 2018. L’Union insistait aussi sur la hausse des importations européennes de soja et de gaz naturel liquéfié.
En janvier 2019, la Commission a présenté deux nouveaux mandats de négociation avec les Etats-Unis : l’un sur les biens industriels et l’autre sur les évaluations de conformité. Et elle pousse désormais pour une adoption urgente, quitte d’ailleurs à renoncer à réaliser les études d’impacts préalables nécessaires. La commissaire européenne au Commerce doit d’ailleurs rencontrer son homologue américain le 6 mars à Washington pour aborder ces questions.
Certains Etats, notamment l’Allemagne, réclament en effet une décision rapide, car les Etats-Unis menacent désormais d’imposer de nouvelles sanctions sur les importations européennes de voitures. Un rapport du département du commerce remis mi-février au président des Etats-Unis conclurait que les importations de véhicules constituent une menace pour la sécurité nationale. Donald Trump disposerait ainsi de quatre-vingt-dix jours pour décider de nouvelles mesures tarifaires à leur encontre.
Les négociations qui devaient apaiser les relations commerciales n’ont donc même pas commencé que les Etats-Unis brandissent de nouvelles menaces pour contraindre les Européens à un accord qui leur soit le plus favorable possible. D’aucuns spécialistes considèrent d’ailleurs qu’il s’agirait d’un moyen visant à obliger l’Europe à intégrer le secteur de l’agriculture dans les négociations, ce à quoi la France s’est totalement opposée jusqu’à présent. Elle a toujours considéré, ce fut d’ailleurs un point sensible des négociations sur le TTIP, que ce serait contraire aux intérêts du monde agricole.
Les mandats ont déjà été examinés lors de la réunion informelle du conseil commerce de l’Union européenne, à Bucarest, les 21 et 22 février dernier. S’il est d’usage d’attendre le feu vert du Parlement européen pour annoncer une décision, la commissaire européenne au Commerce Cécilia Malmström a néanmoins annoncé qu’il y avait un soutien fort de la part des Etats membres.
Crispations au Parlement européen
Au Parlement européen, le sujet provoque des remous importants. De nombreux parlementaires apparaissent réticents à accepter l’ouverture des négociations pour tout un ensemble de raisons. Outre la question climatique, ils refusent que l’Union négocie sous la contrainte et craignent qu’un accord de portée aussi limitée soit défavorable à l’Union européenne.
Le président de la commission commerce du Parlement, le social-démocrate allemand Bernd Lange, avait d’ailleurs préparé une résolution pour demander le rejet des mandats de négociation. Son examen a eu lieu le 19 février en commission. Mais au désespoir de son auteur, elle a été largement amendée par les groupes conservateurs et centristes, en l’absence des eurodéputés français républicains, a priori plus réservés sur les mandats. Et le texte finalement adopté donne un feu vert.
Sur le climat, il rappelle la résolution passée du Parlement, mais il établit un distingo subtil entre accord de commerce « global » et « limité », pour expliquer un écart qui serait dicté par des circonstances spécifiques : « 7. Regrette profondément le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris ; rappelle l’insistance du Parlement européen dans sa résolution sur la diplomatie climatique pour que l’Europe fasse de la ratification et de la mise en œuvre de l’accord de Paris une condition aux futurs accords de commerce ; souligne néanmoins que les recommandations se référaient à un accord limité et non à un accord global de commerce ; et considère ainsi que les accords en question devraient constituer une exception dictée par des circonstances spécifiques et en aucun cas un précédent pour les négociations futures de l’Union européenne (...). »
L’attitude ambiguë de la France
La position du gouvernement français semble bien en deçà des engagements présidentiels. Interrogé lors d’un événement sur le commerce extérieur, un représentant du ministère de l’Economie avait annoncé que la France ne s’opposerait pas aux mandats de négociation, suivant le même raisonnement que les députés de la commission commerce du Parlement européen. Est-ce une analyse partagée par l’ensemble du gouvernement ?
Ce qui est sûr c’est qu’à Bruxelles la France n’a pas fait du climat une ligne rouge sur le mandat de négociation. Pour gagner du temps et ne rien valider avant les élections européennes, elle aurait plutôt insisté sur l’importance d’exclure la pêche des mandats de négociation. Une position qui apparaît plus comme une manœuvre politique qu’une vraie opposition de principe et qui ne lui aurait pas permis d’obtenir le soutien d’autres pays membres.
Le sort des mandats est donc désormais entre les mains des eurodéputés, qui pourraient examiner le texte en plénière dès la semaine du 11 mars. Et le débat s’annonce intense. Jean Arthuis, eurodéputé centriste proche de La République en marche, a lui-même exprimé la volonté de tenir bon sur les conditions environnementales et sanitaires qui doivent s’imposer. Du côté de la société civile, plus de cent organisations européennes ont publié un appel à ne pas valider ces mandats de négociation : « Les engagements mondiaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique doivent passer avant les intérêts du lobby européen de l’automobile. Les normes, obtenues difficilement, qui protègent les populations et la planète devraient passer avant les accords commerciaux. »
Article publié dans Alternatives Economiques, le 05/03/2019