De quoi s’agit-il ? De verser à tous les résidents un revenu inconditionnel afin que nul ne soit enfermé dans la pauvreté dans une société où le progrès technique permet de produire des richesses en abondance. A la différence du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité, ou encore des autres minima sociaux, le revenu de base n’est pas versé aux seules personnes exclues de l’emploi ou aux titulaires de très bas salaires, mais distribué à tous, aussi bien à Mme Bettencourt qu’au SDF…
Pour les libéraux, l’instauration d’un revenu de base est un moyen de simplifier radicalement le système de protection sociale
Commençons par rappeler pourquoi certains libéraux en sont partisans, tels Gaspard Koenig, en France. Pour eux, l’instauration d’un revenu de base est un moyen de simplifier radicalement le système de protection sociale. Remplacer toutes les allocations par un revenu inconditionnel, par un impôt négatif, délie à leurs yeux la société de toute autre responsabilité à l’égard des individus qui la composent, à qui il revient ensuite de se débrouiller seul, en toute liberté. Du coup, plus besoin de salaire minimum, plus besoin d’assurance-chômage, plus besoin de prestations familiales et surtout plus besoin des services en charge de les délivrer et de vérifier que vous y avez droit. De quoi, au final, faire des économies… Dans cette version, le revenu de base est une sorte de cadeau fait par les élites à la plèbe afin d’éviter qu’elle se révolte. Une sorte de version post-moderne du panem et circenses du bas empire.
Une perspective différente à gauche
Le revenu de base, tel que le défendent les écologistes et désormais Benoît Hamon s’inscrit dans une perspective très différente. Le premier avantage d’un revenu de base inconditionnel, pour ses partisans de gauche, est d’éviter d’enfermer les exclus de l’emploi dans un statut d’assisté puisque tout le monde en bénéficie. Ensuite, son automaticité met un terme au non-recours, le fait qu’aujourd’hui des centaines de milliers de personnes qui devraient toucher des minima sociaux n’en bénéficient pas, parce qu’ils jugent les démarches trop complexes ou trop stigmatisantes. Toute personne qui a déjà vu de près un dossier de demande du RSA comprendra qu’être pauvre suppose un haut niveau de qualification…
Enfin, ses partisans de gauche y voient le moyen dans une société à haute productivité et où la révolution numérique devrait encore réduire l’emploi, d’assurer la dignité de tous les citoyens. C’est aussi un moyen de changer les rapports de force, sur le marché du travail, sans attendre un toujours promis mais jamais atteint retour au plein emploi, en donnant à chacun la possibilité de choisir de travailler ou non ou encore de réduire son temps de travail, alors que trop d’emplois sont mal rémunérés ou se caractérisent par des conditions de travail difficiles… Les partisans du revenu de base récusent l’accusation portée par la gauche réformiste qui dénonce un outil susceptible d’enfermer les chômeurs dans l’inactivité et de renforcer le dualisme social. Au contraire, en donnant plus de liberté à tous, ils ne renient pas la société du travail, mais ils remettent celui-ci à sa juste place, fidèle en cela au projet émancipateur que porte le socialisme.
La question n’est pas de glorifier le travail, mais de mettre fin à la précarité que suscite le chômage de masse
De fait, on est tenté de rappeler aux autres candidats à la primaire de la « belle alliance populaire » (sic) que l’idéal socialiste n’est pas porteur d’une émancipation par le travail mais d’une émancipation des travailleurs, ce qui n’est pas du tout la même chose. Que le rôle historique de la classe ouvrière, dans l’imaginaire marxiste, vienne de sa place dans le processus de production est une chose, que son devenir, dans la société à construire, soit de rester rivée à sa machine en est une autre. Certes, la construction du socialisme « réel » s’est longtemps mesurée, dans les pays communistes, au niveau du taux de croissance et au taux de dépassement du plan quinquennal ! Mais, en vérité, toutes les luttes ouvrières, dans les démocraties, ont été non seulement des luttes pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat, mais aussi pour le temps libre, la journée de huit heures, les congés payés, l’amélioration des conditions de travail, les 35 heures, etc. [1]
Les critiques adressées au revenu de base sont donc erronées quand elles tendent, au nom du productivisme, à confondre émancipation des travailleurs et mise au travail de tous les salariés potentiels (avec des heures supplémentaires nettes d’impôts comme le propose désormais Manuel Valls oubliant au passage que la loi El Khomri imposée par son gouvernement permet d’en réduire le taux de rémunération !). La question n’est pas de glorifier le travail, mais de mettre fin à la précarité que suscite le chômage de masse. Et, sur ce plan, si le revenu de base n’est pas la solution, il n’est pas non plus un obstacle à la recherche d’une solution : au risque d’avoir l’air de rouler pour Benoît Hamon (ou Yannick Jadot, mais celui-ci n’est pas présent à la primaire socialiste), constatons que l’articulation revenu de base et réduction du temps de travail proposée par ces deux candidats fait sens.
La glorification du travail n’a rien de socialiste, et encore moins d’émancipateur
La glorification du travail n’a donc rien de socialiste, et encore moins d’émancipateur. On sait que, dans le pire des cas, elle a débouché sur les camps du même nom. L’URSS avait certes supprimé le chômage, mais avait du même coup rendu le travail obligatoire !
Surtout, il est difficile de balayer cette proposition d’un revers de main dans une société qui peine à sortir du chômage de masse depuis maintenant près de quatre décennies. Et qu’à tout prendre, mieux vaut évidemment un revenu de base qu’une dérive vers le workfare, c’est-à-dire le travail obligatoire exigé des bénéficiaires d’aides sociales, comme le propose un Laurent Wauquiez.
Reste à s’assurer que cela ne soit pas la version libérale qui s’impose. Or, le revenu de base n’est émancipateur que s’il s’inscrit dans une société où une réelle égalité des possibles est établie. Ou chacun dispose du niveau de qualification qui lui permet de choisir d’entrer sur le marché du travail ou de vivre chichement de son revenu de base. Bref, pour reprendre les mots d’Amartya Sen, où chacun a les capabilités qui lui permettent d’être un citoyen à part entière. On peut d’ailleurs se demander si un revenu de base serait encore nécessaire dans une société qui satisferait à ces conditions ! Il faut ici entendre la critique adressée au revenu de base qui consiste à craindre qu’il n’enferme les moins dotés en qualification dans l’inactivité, provoquant une dualisation accrue de la société.
La crédibilité du discours de Benoît Hamon sera donc d’autant plus forte s’il articule sa proposition de revenu de base avec ses autres propositions destinées à lutter contre l’échec scolaire, assurer une meilleure prise en charge de la petite enfance ou développer la formation tout au long de la vie…
Modalités pratiques
Reste à discuter des modalités pratiques. Le coût d’un revenu de base de niveau significatif est a priori exorbitant. Certes, une partie des indemnités actuelles serait supprimée en contrepartie, certes une grande partie des sommes versées serait récupérée via l’impôt progressif. Mais le reste à financer demeure considérable ce qui conduit certains à douter de la faisabilité de la mesure, voire de son intérêt, compte tenu du risque d’effet d’éviction pour d’autres dépenses publiques qu’il serait souhaitable d’accroître en priorité afin de réduire les inégalités, comme on vient de le dire.
La voie la plus réaliste est de proposer une mise en œuvre progressive, quitte à remettre à demain la promesse d’universalité
La voie la plus réaliste, dans ces conditions, est de se garder de proposer une révolution fiscale et sociale irréaliste, et de proposer une mise en œuvre progressive, quitte à remettre à demain la promesse d’universalité. C’est dans cet esprit que Benoît Hamon propose, dans un premier temps, de relever significativement le niveau du RSA, pour le ramener en fait au niveau qui était le sien lors de l’instauration du RMI par Michel Rocard, et de l’étendre aux 18 à 25 ans, créant ainsi l’allocation d’autonomie des jeunes promise hier par le candidat Hollande et jamais mise en œuvre.
Reste à voir comment cette allocation a vocation à être financée. Une solution serait de supprimer le bénéfice du quotient familial pour les enfants dépassant l’âge de 18 ans qui ne serait désormais plus à la charge de leurs parents sur le plan fiscal. On peut estimer qu’il serait plus habile politiquement de laisser le choix aux parents de conserver leurs enfants majeurs à leur charge ou non, sachant que l’allocation d’autonomie serait naturellement intégrée au revenu imposable du ménage dans le premier cas. Supprimer le quotient familial pour les enfants de plus de dix-huit ans aurait cependant le mérite de la clarté et serait un pas supplémentaire vers une refonte de la politique familiale. Il serait logique, dès lors qu’on souhaite instituer un revenu de base universel et inconditionnel, d’étendre enfin les allocations familiales au premier enfant et de financer notamment cette extension par une baisse du plafond du quotient familial.
Article publié initialement dans Alterecoplus.fr