Chronique parue dans Alterecoplus, le 30 octobre 2015
Des effets macro économiques plus qu’incertains
La croissance du PIB est au cœur de l’argumentaire avancé par les promoteurs des négociations. Si le sujet divise les chercheurs, leurs travaux montrent que les effets d’un futur traité avec les États-Unis sur la croissance pourraient être au mieux très faibles voire négatifs. Les études d’impact les plus optimistes utilisées par la Commission européenne font état de gains de croissance très faibles sur le long terme (soit 0,05% par an pour les dix prochaines années), quand d’autres études prévoient une diminution du PIB, des échanges et de l’emploi. Des résultats qui interrogent sur la nécessité de mobiliser autant d’énergie dans ces négociations et sur le manque de créativité des dirigeants européens pour dessiner un projet européen viable et répondant aux impératifs environnementaux et sociaux du XXIème siècle.
Quels effets spécifiques sur les PME ?
Si le futur traité est équilibré, les avantages commerciaux (baisses tarifaires et harmonisation des normes) profiteront certainement aux 0,7% des PME françaises et européennes qui exportent déjà vers les États-Unis. Mais la valeur des biens et services exportés par ces dernières représente aujourd’hui moins de 2% de la valeur ajoutée produite par l’ensemble des PME. Les 99,3 % restantes pourraient être affectées par une possible érosion du commerce intra européen et avec d’autres pays tiers (par substitution du commerce transatlantique), l’afflux de produits et services bon marché en provenance des États-Unis, d’éventuelles relocalisations de grands groupes et le bouleversement des normes européennes en matière agricole, sanitaire, technique, culturelle ou numérique.
Un désintérêt général pour les PME
Le problème est que la Commission européenne ne dispose d’aucune étude solide pour plancher sur cette question. Un avis rendu par le Conseil économique et social européen en juillet 2015 souligne que les travaux disponibles ne « couvrent pas tous les aspects » et « ne fournissent pas une analyse factuelle détaillée par secteur et par État membre des impacts que le TTIP pourrait avoir sur les entreprises exportatrices et non exportatrices ». Il recommande ainsi un examen détaillé auquel la Commission refuse pour l’instant de se livrer, alors même qu’une accélération des négociations a été annoncée à Miami lors du XIème round de négociation qui s’est tenu mi octobre.
La part belle aux multinationales
Les grands groupes, en particulier américains, sont les plus consultés par les institutions européennes. Sans surprise, plusieurs dispositions du projet de traité - desquelles les PME resteront largement exclues, de l’avis même de plusieurs associations de PME - pourraient contribuer à accroître le poids des entreprises multinationales dans le processus de définition des politiques publiques. La coopération réglementaire et le mécanisme de règlement des différends permettront en effet aux plus gros investisseurs de participer à la préparation des futures lois et de poursuivre les États quand des politiques publiques entrent en contradiction avec leurs intérêts particuliers. Or rien ne permet d’assurer que les intérêts des PME convergent avec ceux des grands groupes qui s’expriment bien souvent au nom de l’ensemble du secteur privé. Un constat partagé par Martina Römmelt Fella , dirigeante d’une PME familiale allemande de machines : « Nous avons conscience des risques énormes [que TTIP] représente pour nos nombreuses avancées sociales. TTIP permet à de grands groupes multinationaux d’exercer une influence sur des lois existantes de protection environnementale, sanitaire et sociale ».
Parallèlement, la faiblesse des discussions sur les règles de responsabilité sociale, fiscale et environnementale risque d’alimenter une concurrence déloyale entre, d’une part les grands groupes en capacité de localiser avantageusement chacune de leurs activités dans les pays les moins disant au niveau mondial et de l’autre les PME tenues de respecter des règles nationales plus exigeantes. Un fossé dont témoigne Ernst Gugler, directeur d’une entreprise autrichienne d’imprimerie : « Mon impression est qu’il est de plus en plus courant pour un nombre croissant de grandes entreprises de s’immiscer dans le processus législatif démocratique à force de lobbying et d’en profiter pour s’octroyer un certain nombre d’avantages aux dépens des PME, par exemple en plaçant leurs bénéfices dans des paradis fiscaux ».
Une mobilisation inattendue
Complètement absentes des prémices des négociations, les TPE et PME restent très à l’écart du processus. Depuis quelques mois, des PME de plusieurs pays européens commencent individuellement ou collectivement à s’alarmer de l’opacité des négociations, des risques que le TTIP pourrait faire courir à leurs activités ainsi qu’au modèle économique, social et environnemental européen. Des associations de PME telles que l’UCM en Belgique, association wallonne et bruxelloise de promotion des indépendants ou la BVMW, principale association allemande de PME qui regroupe 270 000 membres ont critiqué ouvertement plusieurs volets du traité, notamment le mécanisme de règlement des différends, la coopération réglementaire et les risques d’affaiblissement des normes (notamment alimentaires) et d’abandon du principe de précaution. Ce n’est pas le projet en lui même mais la forme qu’il a prise qui inquiète Philippe Godfroid, président de l’UCM : « Nous ne voulons pas de protectionnisme, ni de retour en arrière (…). Nous pensons que l’Europe et les États-Unis doivent être des partenaires économiques et cela suppose de maintenir des règles du jeu. Dans les circonstances actuelles, un marché unique risque de transformer nos pays en colonie économique des Américains ».
Un appel a également été lancé par des entrepreneurs autrichiens et allemands pour demander l’abandon des négociations qui réunit à ce jour plus de 3300 soutiens. Le bilan que dresse l’un des signataires, Max Schachinger, dirigeant d’une entreprise autrichienne de logistique est sans appel : « TTIP va dans le sens d’un affaiblissement croissant des législations en place en matière écologique et sociale, une contrepartie bien peu souhaitable à la promesse sans fondement d’une maigre croissance économique ».