La production et l’exportation de pesticides contenant des substances actives non approuvées par l’UE en raison de leur dangerosité pour la santé et l’environnement est interdite en France depuis la loi Egalim du 30 octobre 2018. Cette interdiction, codifiée à l’article L.253-8 IV du code rural et de la pêche maritime (1), est entrée en vigueur en 2022.
Mais la loi contient une faille importante : elle vise les pesticides contenant des substances actives non approuvées, sans préciser qu’elle s’applique aux substances elles-mêmes. Et une circulaire du 23 juillet 2019 précisant les conditions d’application de la loi, prévoit expressément que l’interdiction “porte uniquement sur les produits phytopharmaceutiques contenant dans leur formulation des substances actives non approuvées au niveau européen”. Ne sont donc pas couvertes les substances actives non approuvées en tant que telles.
Les industriels se servent de cette faille pour continuer à produire et exporter ces substances, essentiellement vers des pays à revenu faible ou intermédiaire (à 80%). Une nouvelle enquête de Public eye, publiée le 24 septembre, fournit de nouveaux chiffres qui démontre l’inefficacité de l’ “export ban” à la française : ainsi, en 2023, la France a autorisé l’exportation de près de 7300 tonnes de pesticides interdits et parmi ces volumes plus de 60 % ont été expédiés sous forme de substance pure. Ces exportations de substances actives interdites ont même connu une augmentation de plus de 30 % par rapport à 2022, alors que le volume total de pesticides interdits exportés stagnait.
Le Gouvernement avait lui-même reconnu les limites de la loi. Le 13 décembre 2022, en réponse à une question orale, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, avait souligné la nécessité de corriger et d’amender le dispositif car “l’intention des législateurs n’était pas de permettre cette brèche”. Mais le problème n’a pas été résolu depuis.
C’est pourquoi l’association Intérêt à agir, qui accompagne les ONGs dans des parcours de contentieux stratégique, a eu l’idée de cette action et a invité le CCFD-Terre Solidaire et l’Institut Veblen à être les associations requérantes.
L’action a commencé le 2 avril dernier par une phase non contentieuse dans le cadre de laquelle nous avons adressé par courrier aux Ministères compétents (Transition écologique, agriculture, économique) la demande formelle d’abroger la circulaire du 23 juillet 2019 et d’en rédiger une nouvelle, conforme à l’esprit de la loi. Nous avons notamment rappelé que la distinction entre les produits pesticides et les substances actives allait à l’encontre de l’interprétation de la loi Egalim retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 31 janvier 2020 (2). Le Conseil constitutionnel, avait estimé qu’avec l’article L.253-8 IV du code rural et de la pêche maritime, « le législateur a entendu prévenir les atteintes à la santé humaine et à l’environnement susceptibles de résulter de la diffusion des substances actives contenues dans les produits en cause, dont la nocivité a été constatée dans le cadre de la procédure prévue par le règlement du 21 octobre 2009 ». Selon les associations, interdire d’exporter les produits pesticides contenant des substances actives interdites sans interdire l’exportation des substances actives, n’est pas conforme à l’objet et au but de la loi, tels que rappelés par le Conseil constitutionnel.
Face à l’absence de réponse de l’administration, équivalant à un refus implicite, nous avons saisi le Conseil d’Etat d’une requête sommaire début août, lançant ainsi la phase contentieuse de notre action. Nous demandons au Conseil d’Etat d’une part d’annuler les décisions de rejet implicite et, d’autre part d’enjoindre aux Ministres concernés d’adopter une circulaire rectificative, conforme à l’esprit de la loi.
Le mémoire complet sera déposé au Conseil d’Etat début novembre.
Notes
(1)Article L.253-8 IV, code rural et de la pêche maritime “Sont interdits à compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce”.
(2) L’Union des industries de la protection des plantes avait saisi le juge administratif pour obtenir une annulation de la circulaire du 23 juillet 2019 et posait une question prioritaire de constitutionnalité - qui avait été transmise au Conseil d’Etat. L’UIPP avançait que l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime était contraire à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle estimait ensuite « qu’une telle interdiction serait sans lien avec l’objectif de protection de l’environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs qui autorisent ces produits ne renonceront pas pour autant à les utiliser puisqu’ils pourront s’approvisionner auprès de concurrents des entreprises installées en France. » (§2 de la décision).