A l’occasion du 6eme round de négociation sur la modernisation du traité de la Charte de l’énergie qui se tient du 6 au 9 juillet, des câbles diplomatiques fuités révèlent l’impasse dans laquelle se trouve le processus et le rejet suscité par les propositions européennes visant à réduire progressivement la protection des investissements fossiles.
Des comptes rendus du cinquième round de négociations de juin rendus publics décrivent la position de négociation de la Commission européenne comme "plutôt faible" : sa proposition sur la révision des activités couvertes n’a en effet reçu le soutien d’aucun pays membre du TCE et le Kazakhstan l’a même rejetée en bloc.
« Aucun progrès substantiel n’a été réalisé sur la définition de l’activité économique dans le secteur de l’énergie. »
« Aucune des grandes parties contractantes n’était prête à soutenir la proposition de l’UE dans sa forme actuelle. »
« Seuls 6 membres ont pris la parole et aucun d’entre eux n’a soutenu la proposition de l’Union européenne, ce qui montre clairement que cette question n’est pas considérée comme une priorité en dehors de l’UE. Il n’y a pas eu non plus de contre-proposition. La position de négociation de l’UE est donc plutôt faible ici. »
Cette proposition européenne de révision des activités couvertes par le traité était pourtant encore insuffisante pour aligner les engagements pris dans le cadre du traité avec l’Accord de Paris sur le climat. Elle aurait conduit à protéger les investissements fossiles existants encore 10 ans et les nouvelles installations gazières 20 ans.
Face à cet échec, la Commission semble encore rechercher un compromis en proposant des « flexibilités ». Cette stratégie aurait reçu le soutien de l’Allemagne, de l’Autriche, de la République Tchèque et du Luxembourg.
Ces révélations sur l’échec des négociations viennent étayer les déclarations de la Ministre française de la Transition écologique, Barbara Pompili devant l’Assemblée Nationale, le 22 juin dernier : « le processus de modernisation du traité qui est engagé en 2020 ne semble, pour être très claire, pas être en bonne voie. Tous les Etats ne semblent malheureusement pas partager les ambitions européennes en matière climatique. La dynamique actuelle des discussions sur la modernisation du texte est faible. Et elle ne pourra produire d’avancées réelles avant de nombreuses années, dans le meilleur des cas. C’est pourquoi nous envisageons de proposer un retrait coordonné de l’UE et de ses Etats membres. C’est une demande que je porte très régulièrement auprès d’autres Etats membres de l’UE. »
"Le traité sur la charte de l'énergie est vraiment obsolète, il protège, entre autres, les investissements dans les énergies fossiles", affirme @barbarapompili, qui envisage de "proposer un retrait coordonné [du traité par] l'Union européenne et ses Etats membres".#DirectAN pic.twitter.com/b3Fn1k1HIz
— LCP (@LCP) June 22, 2021
Les câbles confirment aussi que plusieurs Etats membres pressent l’UE de travailler sur un plan de sortie coordonnée du traité en cas d’échec des négociations. Au-delà de la France et de l’Espagne qui ont déjà écrit à la Commission européenne à ce sujet, la Pologne semble aussi désormais de cet avis.
Cette piste de sortie coordonnée doit être explorée de toute urgence pour éviter un enlisement des négociations et le maintien des règles actuelles de protection des investissements contenues dans le TCE qui constituent un obstacle majeur à la sortie des énergies fossiles.
Et en réponse aux défenseurs du TCE qui tentent de le défendre en invoquant son utilité pour la protection et le développement des énergies renouvelables, l’Institut Veblen publie aussi le 6 juillet une note sur leçons à tirer de l’analyse des décisions d’arbitrages en matière d’énergies renouvelables dans le cadre du TCE : Protéger les énergies renouvelables avec le Traité de la Charte de l’Énergie : une fausse bonne idée
Les initiatives en faveur d’une sortie du TCE :
– 402 organisations de la société civile publient mardi 6 juillet une nouvelle déclaration dans laquelle elles demandent aux gouvernements de sortir du TCE d’ici le sommet des Nations unies sur le climat (COP26) qui se tiendra en novembre 2021 à Glasgow.
– En février 2021, une pétition en ligne a recueilli plus d’un million de signatures demandant à l’UE de se retirer du TCE.
– Le 3 novembre 2020, plus de 300 eurodéputés et parlementaires nationaux de 20 États membres ont appelé les pays de l’UE si la protection des investissements étrangers dans les combustibles fossiles n’est pas pas retirée du traité.
– En décembre 2020, plus de 400 leaders climatiques ont signé une lettre ouverte appelant les gouvernements de l’UE à se retirer du TCE.
Pour rappel
Qu’est-ce que le traité sur la charte de l’énergie ?
– Le traité de la charte de l’énergie (TCE) est un accord d’investissement plurilatéral ratifié par 53 pays et par l’UE. Il a vu le jour dans les années 1990 et protège les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie.
– Sous le régime du TCE, les investisseurs étrangers peuvent attaquer les États pour presque toutes les décisions dont ils considèrent qu’elles nuisent à leurs intérêts.
– Ces demandes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) sont traitées par des tribunaux d’arbitrage privés, composés d’avocats nommés par les parties, et court-circuitent ainsi les tribunaux nationaux.
– Le TCE a déjà généré 135 plaintes, ce qui en fait l’accord de protection des investissements le plus utilisé dans le monde.
Pourquoi le TCE est-il incompatible avec le respect de l’Accord de Paris ?
– Le TCE a déjà été utilisé un certain nombre de fois contre des États qui tentaient de limiter la production ou l’utilisation des combustibles fossiles (voir aperçu ci-dessous). Et les cas risquent de se multiplier à l’avenir, à mesure que les États prendront des mesures plus ambitieuses pour éliminer progressivement les combustibles fossiles.
– La valeur des infrastructures fossiles protégées par le régime du TCE est estimée à 345 milliards d’euros dans l’UE, en Suisse et au Royaume Uni.
– 61 centrales électriques à charbon sont actuellement protégées par le TCE.
Quelles sont les positions des dirigeants politiques ?
– Des ministres français ont exprimé leur frustration face à l’absence de progrès. Dans une lettre adressée à la Commission européenne en décembre 2020, ils anticipent que la modernisation ne sera " probablement pas [...] achevée avant plusieurs années" et affirment que les objectifs de l’UE sont "loin d’être atteints".
La France a donc laissé entendre qu’elle souhaitait "discuter publiquement" d’un "retrait coordonné" de la Charte de l’énergie.
– Barbara Pompili, ministre française de la transition écologique, a déclaré à l’Assemblée nationale le 22 juin 2021 : le traité est "obsolète - il protège, entre autres, les investissements dans les énergies fossiles et n’est donc plus du tout adapté aux défis énergétiques et climatiques de notre époque, suite à l’Accord de Paris."
– Le gouvernement espagnol a également adressé une lettre à l’exécutif européen, déclarant que s’il n’était pas possible d’aligner le traité sur la Charte de l’énergie sur les objectifs climatiques européens, le retrait serait la "seule solution efficace à long terme".
– Claude Turmes, ministre luxembourgeois de l’énergie, a exprimé sa déception face au manque de progrès lors du 4ème cycle de modernisation.
– Pascal Canfin, eurodéputé Renew et président de la Commission environnement au Parlement européen et Anna Cavazzini, eurodéputée des Verts et présidente de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen ont écrit : "Nous demandons aux négociateurs de l’UE de présenter différents scénarios de sortie de ce traité. La tentative de modernisation pourrait ne faire que retarder l’inévitable, à savoir que l’UE dans son ensemble devrait sortir afin d’être cohérente avec ses objectifs climatiques."
– Bernd Lange, eurodéputé S&D et président de la commission du commerce international, a déclaré : "Il est grand temps que l’Allemagne se range une fois de plus du côté de pays progressistes comme l’Espagne ou la France. Ces pays exigent une évaluation honnête des possibilités de réforme et un retrait si la réforme n’est pas possible. Nous devrions rechercher un accord commun avec tous les pays qui veulent se retirer pour ne plus autoriser les procès entre eux".