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Traités transatlantiques de commerce : qui décide ?

Mathilde Dupré, 3 mai 2016

Chronique publiée le 27/04/2016 dans Alterecoplus

La France pourrait abandonner les négociations pour un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement si aucun progrès n’est accompli dans la prise en compte de ses intérêts stratégiques. C’est le message envoyé par le président Hollande lors de son allocution télévisée le 14 avril, en amont du XIIIe cycle de négociations qui s’est ouvert à New York lundi dernier.

Ouverture des marchés publics américains, coopération réglementaire sur les services financiers et reconnaissance des principales indications géographiques protégées sont les trois priorités définies par le gouvernement, en ligne avec les attentes du MEDEF et de la FNSEA. Peu importent d’ailleurs les arguments étasuniens qui invoquent la promotion de l’emploi local et des PME et la préservation de la stabilité financière pour s’opposer aux deux premières.

Eviter un TTIP allégé

Craignant de voir les États Unis et l’Allemagne s’accorder sur la conclusion rapide d’un traité, même minimaliste - quitte à l’approfondir ensuite via le dispositif de coopération réglementaire -, la France a vu d’un mauvais œil la visite de Barack Obama à la foire d’Hanovre, le 24 avril 2016. C’est pour éviter à tout prix un « TTIP allégé » que Paris a à nouveau menacé de quitter la table des négociations, comme à l’automne 2015.

Le processus d’adoption de tels accords reste très incertain

Alors que l’objectif affiché de la Commission européenne reste de conclure avec les États-Unis un texte avant le départ d’Obama, la fébrilité augmente autour de ces négociations. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 7 avril dernier, 60 parlementaires socialistes appelaient à plus de transparence et réclamaient d’être consultés lors de la ratification du texte final. Le processus d’adoption de tels accords reste en effet très incertain. Depuis le traité de Lisbonne, il incombe à la Commission européenne de mener les négociations à partir d’un mandat délivré par le Conseil. Une fois le texte conclu, celui-ci doit être adopté par les 28 au sein du Conseil et par le Parlement européen. Mais à ce stade, plus aucun amendement n’est possible, c’est à prendre en bloc ou à laisser.

Un vote des parlements nationaux simplement pour la forme ?

S’il est décidé que l’accord est « mixte », c’est à dire qu’il relève non seulement des compétences dévolues à l’UE mais également de compétences des États membres, il faudra l’unanimité au Conseil et la ratification en sus par les parlements nationaux.

Matthias Fekl, le secrétaire d’État au commerce extérieur, a indiqué à plusieurs reprises que pour la France, les accords en gestation sont des accords mixtes et l’absence de consultation des parlementaires nationaux constituerait « un coup d’État démocratique  ». Il a ainsi donné des gages aux députés et sénateurs français, leur assurant qu’ils auraient le dernier mot. Ce que Fekl omet de préciser néanmoins c’est que, même pour des accords mixtes, la pratique est de ne pas attendre le vote des parlements nationaux pour les mettre en œuvre, réduisant ainsi cette consultation à une opération d’enregistrement formel a posteriori.

90 % du contenu de l’accord avec le Canada pourrait entrer en vigueur dès le vote du Parlement européen

L’accord entre l’UE et le Canada (intitulé CETA en anglais) dont le texte de 1500 pages a été finalisé fin février, arrive sur la table du Conseil et du Parlement européens. En dépit du flou qui persiste encore sur le processus de ratification, la Ministre canadienne du commerce, Chrystia Freeland a déjà annoncé qu’elle comptait sur la mise en œuvre du CETA dès le début de l’année 2017.

Quelle que soit la décision de l’UE sur la mixité de l’accord, selon elle, 90 % du contenu du texte pourrait entrer en vigueur dès le vote du Parlement européen. Si l’UE lui donnait raison, l’engagement pris par Matthias Fekl envers la représentation nationale ne pourrait être tenu. Pour que les députés et les sénateurs français aient le dernier mot, encore faut-il les consulter avant la mise en œuvre provisoire du texte. D’autant que certaines dispositions, telles que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États - le fameux ISDS réformé - pourraient rester en vigueur près de trois ans y compris après un rejet.

La tension monte contre le CETA

Alors que les États membres sont appelés à faire part de leurs éventuelles objections finales sur le CETA au mois de mai, le silence des autorités françaises sur ce second texte, « cousin » du TTIP, laisse songeur. Pourtant au sein des 28, la tension monte.

En Belgique, la Wallonie a annoncé le 13 avril son refus de donner les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour le signer et exige l’abandon de la mise en œuvre provisoire. Une résolution parlementaire trans-partisane a ainsi été adoptée par une large majorité le 27 avril. Le jour suivant, c’est le parlement néerlandais qui a adopté à son tour une motion contre la mise en oeuvre provisoire du texte. Quant au gouvernement Roumain, en conflit avec le Canada sur des questions de visa, il menace également de faire barrage au traité.

Tous les observateurs s’accordent à dire que le CETA et le TTIP ne sont pas des traités classiques de libre-échange. Ils comportent des clauses innovantes de coopération réglementaire qui les rendent « vivants » et donc modifiables après ratification. Ces accords qualifiés de « nouvelle génération » nécessitent de bannir cette pratique de mise en œuvre provisoire et de faire évoluer le processus de ratification pour offrir les conditions d’un véritable choix démocratique assumé de la part de l’Union et de l’ensemble des États membres.

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