L’entreprise, élément central de la vie socio-économique, ne fait toujours pas l’objet d’une définition dans le droit français. Seule « la société » est définie par les articles 1832 et 1833 et suivants du code civil. Ces articles datent pour l’essentiel de 1804. Depuis deux siècles l’entreprise et le contexte économique, social, environnemental, culturel et politique ont considérablement évolués. Limiter l’entreprise à ses seuls associés, avec le profit pour seule finalité, ne correspond plus aujourd’hui, ni à la réalité des entreprises ni aux aspirations des employés et des populations. La loi « « pour la croissance et la transformation des entreprises », dite loi PACTE, doit en tenir compte en actualisant la définition de la « société » inscrite dans le code civil. Il convient par ailleurs de faire la différence entre société et entreprise et d’articuler juridiquement ces deux objets distincts.
L’entreprise ne se limite pas en effet aux seuls associés
Son fonctionnement, son développement, sa création de valeur, reposent certes sur les apporteurs de capitaux mais aussi, au premier chef, sur les compétences et le travail des salariés. Les entreprises s’appuient également sur leurs clients ou usagers, raison d’être de leurs activités et apporteurs des revenus, sur leurs sous-traitants et fournisseurs, sur les communautés et territoires dans lesquels elles opèrent, ainsi que sur les services rendus par l’environnement. Ces diverses parties prenantes sont elles aussi exposées à des degrés divers aux risques qui résultent de l’activité des entreprises. Qu’un seul de ces acteurs fasse défaut et c’est l’ensemble de l’entreprise qui est mise en danger.
Les finalités de l’entreprise ne se réduisent pas au profit
Les résultats d’une entreprise dépendent en grande partie de la qualité de ses interactions avec ses différents partenaires internes et externes. Les performances d’une entreprise ne se jugent plus uniquement sous l’angle financier de court terme mais également, y compris de plus en plus pour les investisseurs, par ses performances extra-financières. L’entreprise doit prendre en compte dans sa stratégie et sa gestion les conséquences, positives ou négatives, de ses activités en matière économique, sociale, sociétale et environnementale. La seule poursuite du profit peut en effet conduire à des conséquences graves comme des suppressions d’emplois, des atteintes à la santé des consommateurs, des accidents industriels, des dégâts irréversibles à l’environnement, au non-respect du droit du travail et des droits humains, etc.
Comme l’ont déjà fait l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, la France doit donc inscrire dans son droit la responsabilité de l’entreprise concernant les conséquences économiques, sociales, sociétales et environnementales de ses activités. C’est d’ailleurs ce que recommandait Emmanuel Macron lui-même dans son discours du 25 janvier 2018 à Davos : « Je crois très profondément à la généralisation des systèmes de responsabilité sociale et environnementale ».
Dans le cadre de la contribution de la Plateforme RSE à la consultation au « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises », le pôle des organisations de la société civile a présenté de nouvelles formulations pour les articles 1832 et 1833 du code civil (2).
Concernant l’idée évoquée dans le projet PACTE de créer un nouveau statut de société dite à « objet social étendu », cette éventualité doit faire l’objet d’une étude préalable approfondie. En effet, un tel projet ne doit pas être utilisé pour éviter une évolution de l’objet social de l’ensemble des sociétés. Il ne doit pas dispenser les autres entreprises d’assumer leurs responsabilités sociales, sociétales et environnementales. Le nouveau statut ne doit pas non plus contribuer à affaiblir le secteur de l’économie sociale et solidaire en diluant ses spécificités ni à remettre en cause le label d’Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) créé par la loi Hamon de 2014.
Notes :
(1) Association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs, Association 4D, Centre français d’information sur les entreprises, Collectif Ethique sur l’Etiquette, France Nature Environnement, Fondation pour la Nature et l’Homme, Forum citoyen pour la RSE*, Humanité et Biodiversité, Institut Veblen, Les petits débrouillards, Ligue des Droits de l’Homme, Terre des Hommes
* Le Forum citoyen pour la RSE regroupe 19 organisations : ActionAid France Peuples Solidaires, AITEC, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, CFDT, CGT, Collectif Ethique sur l’étiquette, CRID, FIAN, France Nature Environnement (FNE), Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) Greenpeace France, Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Sherpa, Terre des Hommes France, WWF France, ainsi que le journal Alternatives économiques et le Centre Français d’Information sur les Entreprises (CFIE)
(2) Formulations proposées par le pôle société civile :
Article 1832 La société est instituée par une ou plusieurs personnes qui conviennent d’affecter par un contrat des actifs sous forme d’apports en numéraire, en nature ou en biens immatériels en vue d’un projet d’entreprise commune à travers la poursuite d’une activité soutenable et responsable.
Article 1833 Toute société doit avoir un objet licite et être gérée dans l’intérêt de ses associés, des parties prenantes qui participent à sa vie économique et des acteurs de la société civile influencés, directement ou indirectement, par ses activités, dans le respect de l’intérêt général et de la préservation des biens communs, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de ses activités.