Article publié dans Alterecoplus, le 10/10/2016
D’abord sur de bons rails, puis stoppé en plein élan par un veto du gouvernement wallon, puis finalement signé dimanche 30 octobre par l’Union Européenne et le Canada, l’accord de commerce et d’investissement avec le Canada, intitulé CETA (1), a fait l’objet d’un improbable feuilleton. Désormais signé par l’UE et le Canada, l’accord doit encore être ratifié par les parlements du Canada et des 28 Etats membres de l’UE. Un processus très incertain, car les oppositions à ce traité de libre échange sont nombreuses, dans un contexte de forte mobilisation citoyenne. Décryptage d’un accord d’abord bien discret, mais aujourd’hui en pleine lumière.
Qu’est-ce que le CETA ?
Moins connu que le TTIP (le traité de libre-échange transatlantique ou TAFTA en anglais), le CETA négocié en toute discrétion par l’Union européenne et le Canada entre 2009 et 2014 contient pourtant plusieurs ingrédients similaires. S’il était adopté, cet accord serait sans précédent dans l’histoire commerciale européenne. Premier traité négocié par l’UE avec un partenaire commercial membre du G7, l’ampleur des sujets dont il traite est absolument inédite. Dans le jargon des spécialistes, le CETA est le premier accord de « nouvelle génération » à arriver à ratification. Qu’entend-on par là ?
Au-delà de l’ouverture des marchés et de la réduction des tarifs douaniers déjà très faibles (sauf dans l’agriculture), l’accord porte également sur la réduction des barrières non tarifaires au commerce, c’est-à-dire les normes techniques mais aussi sociales, environnementales, financières ou alimentaires ; ou en d’autres termes, sur les normes de protection des consommateurs. Le CETA contient un mécanisme de coopération réglementaire – qui fait de lui un accord « vivant » – ainsi qu’un très décrié mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Et il est par ailleurs le premier traité négocié par l’Union européenne avec la méthode de la liste négative pour la libéralisation des services qui consiste à ouvrir à la concurrence tous les services par défaut à l’exception de ceux qui auront été explicitement listés par les parties.
Quant aux bénéfices économiques attendus du CETA, ils apparaissent, aux yeux des syndicats, des associations de consommateurs, des ONG d’environnement, tout comme de certaines PME européennes, bien maigres et incertains comparés aux dangers démocratiques et de remise en cause de notre modèle européen.
Un accord « hors la loi » ?
Depuis quelques semaines, la question de la compatibilité même du traité avec le droit européen ainsi qu’avec les constitutions de certains pays membres est posée par nombre de professeurs de droit européens. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a été saisie fin août par trois associations (Foodwatch, Mehr demokratie et Campact) avec le soutien de plus de 125 000 citoyens sur la base des travaux de Bernhard Kempen, professeur de droit à l’Université de Cologne. Selon lui, plusieurs volets du CETA pourraient être en effet contraires à la Constitution allemande.
Sont visés, en particulier, la création d’un comité mixte réunissant des régulateurs européens et canadiens ; l’absence de respect du principe de précaution ; la mise en application provisoire de l’accord et le mécanisme de résolution des différends entre investisseurs et États. En vue du vote au Conseil européen, la Cour constitutionnelle a d’ailleurs posé des exigences strictes afin de s’assurer que l’Allemagne pourrait mettre fin unilatéralement à l’application provisoire du CETA si ce dernier était jugé inconstitutionnel. Elle a ainsi obligé Berlin a demander une clause nouvelle de réversibilité du traité le 18 octobre qui lui aurait a priori été accordée. En France, d’après les analyses de trois professeurs d’université - Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, Évelyne Lagrange et Laurence Dubin, professeures de droit international public - plusieurs dispositions du CETA portent atteinte à la Constitution française et notamment au principe d’égalité ; aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale et au principe de précaution. Outre atlantique, une plainte constitutionnelle a également été déposée au Canada sur des motifs similaires le 21 octobre dernier.
Inquiets, plus d’une centaine de députés socialistes, radicaux et écologistes avaient écrit, le 21 septembre, à François Hollande pour lui demander de refuser l’application provisoire de ce traité, avant qu’ils n’aient été consultés. Suite à ce courrier, un projet de résolution européenne a ensuite été déposé à l’Assemblée nationale pour demander au gouvernement de voter contre l’application provisoire du CETA au Conseil mais également de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour vérifier la compatibilité du CETA avec les traités européens. Mais pour s’assurer du rejet de cette proposition, pourtant prudente et légaliste vis-à-vis de l’UE, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a usé de mesures exceptionnelles, n’hésitant pas à faire démissionner (2) plusieurs membres de la Commission des affaires européennes, le jour du vote, le 5 octobre.
Qu’est ce qui bloque au Conseil ?
Malgré l’énergie déployée par la Commission pour obtenir le soutien unanime des États membres, le vote initialement prévu le 18 octobre a dû être reporté du fait des blocages rencontrés dans plusieurs pays et de la vague de contestation qui monte dans l’opinion publique.
D’intenses tractations avaient pourtant été menées au cours des dernières semaines avec la rédaction en catastrophe d’une déclaration annexe visant à rassurer les opposants. Cette déclaration interprétative conjointe « a été faite à la demande de certains états membres, notamment de l’Autriche (…) et du SPD », a expliqué Edouard Bourcieu, de la Commission européenne, lors d’un débat organisé par Médiapart. « Ça ne change rien par rapport au contenu de l’accord (…) mais ça redit exactement ce que dit l’accord ; ce que veulent les parties (...) ».
Cette opération déminage a permis d’obtenir le feu vert du parti social démocrate allemand et in extremis le soutien du Chancelier autrichien pourtant très réservé sur le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États et sur la coopération réglementaire. Mais ça n’a pas été jugé suffisant en Belgique. Le gouvernement wallon a refusé de donner les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour signer le CETA, en raison d’un veto posé par le parlement régional le 14 octobre dernier. De leur côté, la Roumanie et la Bulgarie avaient fait aussi part de réserves liées à des enjeux de réciprocité des visas qui n’ont été levées que le 21 octobre.
Refus wallon
Le veto wallon, loin d’être une surprise pour les observateurs attentifs, est le résultat d’un travail approfondi mené par plusieurs parlements régionaux en Belgique et qui avait débuté avant même la fin des négociations avec le Canada. Dans une résolution d’avril 2016, les réserves wallonnes sur le CETA étaient explicitement présentées ; notamment sur l’arbitrage mais aussi l’agriculture, les services publics, les PME et le risque d’un nivellement par le bas des règles sociales et environnementales. Ignorées jusqu’au début du mois d’octobre 2016, ces considérations n’ont évidemment pas pu être prises sérieusement en compte, faute de volonté européenne de rouvrir le texte sur les aspects problématiques. En effet, à en croire le ministre-président Paul Magnette, les sources de blocage se situeraient d’avantage au sein de l’UE qu’au niveau du Canada. En tout état de cause, ni Paris, ni Bruxelles n’ont voulu saisir cette opportunité pour transformer le CETA en véritable accord exemplaire visant à définir des règles du jeu équitables, accélérer la transition énergétique et écologique et réduire les inégalités. Quant au gouvernement français, il est resté étonnement discret ces dernières semaines sur les réserves exprimées par les Wallons.
Finalement, le jeudi 27 octobre, Paul Magnette a passé un accord avec Charles Michel, Premier ministre belge, assurant avoir obtenu des avancées en matière de protection des services publics, de l’agriculture, ou encore sur le délai de mise en place des tribunaux internationaux d’arbitrage. Certains observateurs font valoir que derrière cette "victoire" revendiquée par Paul Magnette se cache surtout une bataille politique belge interne. Quoi qu’il en soit, le CETA n’a pas encore gagné. Il doit maintenant être ratifié par les 28 Etats membres, même si les spéculations vont bon train sur les moyens de priver les autres parlements nationaux de leurs prérogatives sur la ratification de l’accord. Un tel passage en force ne présagerait pourtant rien de bon pour les étapes ultérieures et ne ferait surtout que confirmer au grand jour l’impasse démocratique dans laquelle se trouve la politique commerciale européenne.
Notes :
1. Comprehensive Economic and Trade Agreement ou Accord économique et commercial global.
2. Pour être sûr d’avoir une majorité contre le projet, le groupe socialiste a fait démissionner cinq députés qui auraient pu être tentés de soutenir la proposition pour les remplacer par cinq autres députés. Ces derniers ont, à leur tour, démissionné à l’issue du scrutin afin de restituer leur place aux cinq députés initiaux.