Après 4 années de discussions, la modernisation du traité sur la Charte de l’Energie s’est achevée le 24 juin dernier avec un accord dont le contenu n’est pas public, seulement un résumé.
Cet accord doit faire l’objet d’une adoption formelle à la Conférence des Etats parties au Traité, les 22 et 23 novembre prochain. Et son entrée en vigueur ne pourra démarrer qu’après la ratification par les 3/4 des Etats parties. (Lors de la précédente modification, ce processus a pris 12 ans).
L’accord envisagé ne permet pas d’aligner le TCE avec les engagements climatiques de l’UE et de la France.
- Les investissements fossiles resteront protégés dans une grande partie des Etats signataires du traité pour une durée indéterminée.
- L’UE et le Royaume Uni prévoient de mettre bien trop progressivement fin à la protection des investissements fossiles.
– Les investissements fossiles existants resteront protégés pendant une période encore incertaine (soit 10 ans après l’entrée en vigueur du traité modifié)
– Les nouveaux investissements fossiles pourraient ne plus être protégés dès août 2023 (en vertu d’une application provisoire de cette nouvelle disposition), à l’exception de certains investissements gaziers qui pourraient rester protégés jusqu’en 2040. A noter que cette disposition n’est pas en ligne avec la politique pratiquée par le BEI et que les clauses définissant les seuils d’émissions pour les exceptions sont moins ambitieuses que celles définies dans la taxonomie européenne.
Sur l’arbitrage d’investissement, l’accord envisagé n’est pas non plus satisfaisant et pourrait s’avérer incompatible avec le droit communautaire.
- L’accord prévoit la fin des différends intra européens entre investisseurs et Etats. Mais cette disposition ne rentrera a priori en vigueur aussi qu’après la ratification 3/4 parties.
- Le mécanisme d’ISDS reste inchangé et l’UE n’est pas parvenue à y apporter les modifications procédurales qu’elle a définies comme nouveau standard dans le cadre des négociations commerciales avec le Canada.
La France doit tirer toutes les conclusions de cet échec
La France s’est montrée très critique sur ces négociations à plusieurs reprises :
- En Décembre 2020, la ministre française de la transition écologique, Barbara Pompili, aux côtés du ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, du secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune et du ministre délégué au commerce extérieur Franck Riester, ont uni leurs voix dans une lettre adressée à la Commission européenne, demandant soit de moderniser le TCE en le rendant compatible avec l’accord de Paris, soit de s’en retirer de manière coordonnée. Cette lettre a été relayée dans les médias début 2021 .
- En juin 2021, en réponse à une question de la députée Marjolaine Meynier, Barbara Pompili a déclaré devant l’Assemblée Nationale l’ambition d’un retrait coordonné du TCE, avec la possibilité de neutraliser la clause de survie par un accord européen.
- Pascal Canfin, eurodéputé français, Renew, Président de la Commission environnement du Parlement européen a indiqué le 21 juin 2022 :"On est arrivé au bout de la négociation (...) Maintenant, il faut organiser la sortie du TCE, et que les Européens s’entendent pour ne plus s’appliquer la clause des vingt ans ".
La France doit désormais tirer les conclusions de l’échec de cette modernisation et appeler à une sortie coordonnée de l’accord. Pour diminuer les risques juridiques liés à une sortie unilatérale de l’accord, les parties qui désirent quitter conjointement le traité doivent en parallèle conclure un accord inter se prévoyant de désamorcer entre elles la clause de survie autorisant les investisseurs actuels à attaquer les Etats pendant 20 ans après leur sortie.
La sortie du TCE est très attendue par de multiples acteurs
La sortie de cette accord archaïque et obsolète est réclamée de longue date par plus de 400 organisations de la société civile, plus d’un million de citoyens, des investisseurs, des entreprises du secteur des renouvelables, etc. (voir le détail ici)
En amont de la conférence du 24 juin, environ 80 scientifiques du climat de renom ont appelé les pays de l’UE et la présidence française du Conseil de l’UE à se retirer du TCE et à rejeter l’"accord de principe" .
Cinq jeunes victimes de catastrophes climatiques ont intenté une action en justice devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) contre 12 États européens (Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Luxembourg, Pays Bas, Suède, Suisse et Royaume Uni) pour avoir laissé le TCE entraver leur transition vers l’abandon des combustibles fossiles .
La France n’est pas seule et elle peut prendre la tête d’une coalition d’Etats européens sur le sujet
La vice-Première ministre espagnole, Teresa Ribera, a déclaré :
"Après 14 cycles de négociations sans progrès substantiels, il est clair que la modernisation du Traité sur la Charte de l’énergie ne parviendra pas à garantir l’alignement du TCE sur l’Accord de Paris et les objectifs du Green Deal européen. À l’heure où l’accélération d’une transition énergétique propre est devenue plus urgente que jamais, il est temps que l’UE et ses États membres initient un retrait coordonné du TCE."
Le parlement néerlandais a adopté une résolution le 22 juin 2022 demandant une sortie du TCE
La coalition de gouvernement en Allemagne a défini ses lignes rouges pour une réforme réussie.
D’autres Etats tels que la Pologne, la Grèce ou le Danemark ont aussi émis des réserves fortes par le passé.
En outre, le 23 juin 2022, le Parlement européen a adopté à une large majorité un rapport d’initiative dans lequel il fixe des critères très clair pour l’évaluation d’un accord éventuel sur la modernisation du TCE et demande une sortie coordonnée en cas d’absence d’accord ambitieux en juin 2022