Le Sénat a montré dans son rapport de juillet dernier que les gouvernements Borne et Attal ont laissé déraper les budgets 2023 et 2024 de façon fort peu démocratique, en dissimulant la réalité aux élus. Espérons que les électeurs s’en souviendront. Alors qu’un nouveau budget se prépare, le climat est particulièrement tendu, dominé par le débat sur la dette publique et la procédure de déficit excessif ouverte par la Commission européenne.
Ne pas couper dans les dépenses publiques
Il faut raison garder face aux cris d’orfèvre poussés par la presse libérale, celle-là même qui accueillait favorablement les baisses d’impôts d’Emmanuel Macron, alors qu’elles n’ont fait que dégrader l’état des comptes publics. La charge de la dette s’est accrue depuis 2020 mais, rapportée au PIB, elle reste en dessous de la moyenne observée depuis les années 1980 et dans la moyenne européenne en 2023.
Chercher des coupes claires dans les dépenses publiques serait une erreur macroéconomique. Dans sa dernière note de conjoncture, l’Insee rappelle en effet que c’est la dépense publique qui permet de maintenir l’activité en France, tandis que l’investissement et la consommation restent faibles et que la stagnation menace nos voisins européens, à commencer par l’Allemagne.
Ce serait également une faute politique. Si le nouveau gouvernement s’acharne à viser la réduction du déficit à tout prix, il risque de raviver la crise sociale qui couve depuis des années et de susciter de nouveaux troubles politiques. Une telle séquence pourrait rapprocher encore le Rassemblement national des portes du pouvoir. Il appartient au gouvernement Barnier de prendre la mesure de l’état du pays, de répondre aux attentes qui s’expriment au cœur même de notre modèle social : logement, école, santé, crise environnementale… autant de domaines dans lesquels l’État n’agit pas suffisamment face à la déliquescence des services publics.
Réformer notre système fiscal
Quelles sont les marges de manœuvre ? La crise du déficit est aussi une opportunité pour réformer notre système fiscal et le rendre plus juste, en augmentant la progressivité de l’impôt et en s’attaquant aux nombreuses niches fiscales. Michel Barnier a évoqué des hausses d’impôts pour les riches ces derniers jours, signe qu’il n’a pas perdu son sens politique. Il faudrait a minima revenir sur les principales baisses d’impôts concédées au cours des dernières années. Au-delà, une réforme de justice sociale prioritaire serait une taxation des plus-values immobilières et une hausse de l’impôt sur l’héritage, pour inverser la tendance à la concentration des richesses. Le moment serait aussi opportun pour augmenter le taux (3% aujourd’hui) et l’assiette (réduite aux titres actions) de la taxation des transactions financières.
Évidemment chaque mesure fiscale peut entraîner des comportements d’évitement ou réduire l’activité et donc les recettes fiscales effectives, mais l’argument est trop souvent instrumentalisé pour ne rien faire. Des pays comme la Suède ou le Danemark pratiquent des taux marginaux bien supérieurs à la France (55% vs 45%) pour les tranches supérieures de l’impôt sur les revenus. Confrontés à la crise de la dette, ces pays n’avaient pas hésité à relever leurs taux jusqu’à 60%-63%, sans pour autant plomber l’activité économique. Ce qui compte est au moins autant l’impact démocratique de ces mesures que leur impact budgétaire : la lisibilité et la progressivité de l’impôt est au cœur du contrat social qui rend ces pays gouvernables et réformables.
Une nouvelle coordination monétaire et budgétaire pour l’Europe
De nouvelles recettes sont donc possibles mais ne suffiront pas pour absorber rapidement le déficit. Des économies sont également envisageables, mais il faudra les consacrer à une meilleure orientation des fonds publics. À titre d’exemple, la nouvelle étude réalisée par le BASIC pour le Secours catholique et d’autres organisations estime à 19 milliards d’euros le coût annuel porté par l’État pour réparer une partie des dégâts causés par le modèle productiviste agricole. Il faut donc impérativement défendre, face à Bruxelles, une trajectoire de réduction de la dette étalée dans le temps. En parallèle, chercher des alliés en vue d’une réforme de la gouvernance économique européenne.
Financer des investissements européens communs est une priorité politique selon le rapport Draghi et la présidente reconduite de la Commission U. von der Leyen au nom de la compétitivité internationale. Mais ces investissements n’iront pas sans une grande part d’investissements publics dont le financement devra reposer au moins en partie par des emprunts communs contractés par la Commission au nom de l’Union européenne. Sans doute faudra-t-il aussi en passer par un soutien par la BCE et les banques publiques via des programmes d’achats d’actifs fléchés.
Plus fondamentalement, l’Europe a besoin d’une nouvelle coordination monétaire et budgétaire, capable de soutenir dans la durée la transformation de notre économie, y compris en temps de crise. Le volet monétaire concerne la BCE et son mandat, qui offre plus de marges de manœuvre pour agir qu’on le pense d’ordinaire. Quant au volet budgétaire, la réforme du Pacte de stabilité a déçu, mais le compromis trouvé en décembre 2023 évoque la possibilité de revoir les méthodes de calcul de la dette publique : c’est une porte entrouverte pour traiter à part les dépenses dans transition écologique par exemple, en attendant des financements plus massifs et des modalités plus audacieuses.