Soirée débat « Quelle fiscalité pour une transition juste ? », le 8 décembre à l’Ecole normale supérieure à Paris
Le consentement à l’impôt est au cœur de la démocratie, et huit Français sur dix estiment à juste titre que payer l’impôt est un acte citoyen, à en croire l’étude commandée par le Conseil des prélèvements obligatoires en 2021 [1]. Certes, la majorité d’entre eux pensent aussi que les impôts sont trop élevés en France et qu’ils payent trop d’impôts eux-mêmes : plus ils sont riches, plus ils ont tendance à le penser, curieusement. Les dernières années ont aussi vu des mouvements contestataires – « Pigeons », « Bonnets rouges », « Gilets jaunes » – qui nous rappellent la fragilité permanente du consentement à l’impôt. Toujours contesté quelque part, c’est un consentement souvent contradictoire et toujours râleur, à l’image de notre culture démocratique elle-même. Pour ne pas sombrer dans le populisme fiscal, il doit constamment se nourrir du débat sur le sens des missions financées et sur le partage équitable des efforts.
Aussi peut-on regretter que les responsables politiques au pouvoir assument si mal de parler du rôle positif de l’impôt. Le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron poursuit la série de baisses entamée lors du premier, alors que la suppression de l’ISF, par exemple, n’a eu aucun effet sur le financement des entreprises. Il est toujours plus facile de promettre de réduire la « pression fiscale » que de demander ouvertement « qui doit contribuer davantage ? ».
Pourtant, c’est bien une question qu’il faut se poser aujourd’hui, lorsque la France et l’Union européenne prennent des mesures d’urgence face à l’envolée des prix de l’énergie et de l’inflation, et avec le risque de voir une nouvelle récession s’abattre sur l’économie mondiale. Comme l’a dit fort bien Philip Lane, membre du directoire de la Banque centrale européenne, une partie des mesures prises pour soutenir les populations les plus vulnérables « doit être financée par des hausses d’impôts pour les mieux nantis » ; concrètement, par les hauts revenus et les grandes entreprises du secteur énergétique devenues très rentables grâce au choc énergétique. La France devrait prendre exemple sur l’Espagne, qui a décidé de créer une taxe de solidarité temporaire sur la fortune. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi ouvrir plus largement le débat sur notre modèle fiscal.
Un levier de transformation
Le dossier que nous vous proposons offre à cet égard un état des lieux plutôt rassurant au fond, mais pointe aussi de nombreux défis à relever. Premier constat, le modèle fiscal français a plutôt mieux résisté que d’autres aux chantres libéraux du « ruissellement » des richesses vers le bas. C’est ce que montre Xavier Timbeau, données historiques à l’appui, retraçant les effets redistributifs des réformes fiscales menées depuis les années 1980-1990 et jusqu’aujourd’hui. Il s’avère que l’effet correcteur de l’impôt sur les inégalités n’a pas faibli en quarante ans, au contraire. Et la France est un des rares pays où les inégalités de revenu après redistribution ne se sont pas creusées ces dernières décennies. Dans le même esprit, Thomas Breda pointe le rôle redistributif des cotisations sociales, et met en garde contre l’idée de généraliser les exonérations prévues initialement pour les bas salaires. Inscrivant nos débats du moment dans l’histoire plus longue de l’impôt et du consentement à l’impôt, Nicolas Delalande nous rappelle par ailleurs que les contestations fiscales ont été bien plus fréquentes et plus virulentes par le passé.
Deuxième constat, si la fiscalité française résiste, elle ne joue pas le rôle transformateur qu’elle devrait. Sur le plan social d’abord, la France s’enfonce lentement mais sûrement dans un modèle de société d’héritiers, où le poids des richesses reçues en héritage écrase de plus en plus les possibilités de mobilité sociale. Guillaume Allègre réfléchit sur les difficultés politiques à réformer les droits de succession en France – une des promesses non tenues du premier quinquennat d’Emmanuel Macron – et propose d’adapter la stratégie en conséquence.
Sur le plan écologique ensuite, qu’il s’agisse des niches fiscales dont profitent encore les énergies fossiles (thème abordé par Meike Fink) ou de la fiscalité carbone en général (voir l’entretien avec Julien Bueb), le système fiscal français envoie des signaux contradictoires, allant tantôt dans le sens de la transition, tantôt dans le sens inverse. Par ailleurs, à l’heure où tout le monde semble reconnaître la place de la sobriété dans la transition écologique, il est étonnant que personne ne parle du rôle que joue la publicité dans la stimulation permanente à la surconsommation et au gaspillage. Pour y remédier, Mathilde Dupré et Renaud Fossard proposent une taxation des marchés publicitaires.
Sur le plan international enfin, Mathilde Dupré et Lison Rehbinder observent que le gouvernement français n’est pas à la pointe du mouvement en faveur de la taxation des entreprises multinationales. Les règles fiscales évoluent trop lentement et profitent surtout aux pays riches, oubliant les besoins de financement des pays en développement.
L’Economie politique, un lieu de réflexion collective sur les défis de demain
Ce numéro est le premier à être réalisé conjointement par Alternatives Economiques et l’Institut Veblen, et Wojtek Kalinowski reprend le flambeau tenu précédemment par Sandra Moatti, en tant que rédacteur en chef de L’Economie politique. La revue trimestrielle poursuivra sa mission comme elle le fait depuis vingt-cinq ans, lorsque Christian Chavagneux a eu la bonne idée de la créer en complément au magazine mensuel. Elle continuera d’offrir un lieu de réflexion prospective à celles et ceux qui œuvrent pour une économie plus juste socialement et plus soutenable. Faire de l’économie politique, c’est élargir le champ du possible là où d’autres le rétrécissent ; c’est faire vivre le débat sur les réponses à apporter aux multiples crises sociales et écologiques qui frappent nos sociétés ; c’est diffuser un autre regard sur l’économie à tous les niveaux de la société.